L’Amérique face à l’épouvantail « socialiste »

Donald Trump et la droite dans son ensemble tentent de dépeindre Bernie Sanders et les autres candidats démocrates comme de dangereux gauchistes qui veulent détruire le pays.

Alexis Buisson  • 11 mars 2020 abonné·es
L’Amérique face à l’épouvantail « socialiste »
© Bernie Sanders lors de la campagne pour la primaire démocrate, le 1er mars à Los Angeles.Image Press Agency/NurPhoto/AFP

Une « secte diabolique », source de « destruction de l’économie, des libertés et de la dignité ». Ce mal dévastateur qu’ont évoqué tour à tour les intervenants de la Conservative Political Action Conference (CPAC), le grand rassemblement des conservateurs américains qui s’est tenu en banlieue de Washington fin février, c’est le « socialisme », terme épouvantail aux États-Unis depuis la guerre froide.

Ce rendez-vous annuel, baromètre de la droite militante, s’est refermé samedi 29 février après trois jours d’interventions au vitriol de la part de membres de l’administration Trump, de son équipe de campagne, de sa famille et d’autres piliers de la galaxie conservatrice. Donald Trump est venu clôturer l’événement, sobrement intitulé « L’Amérique contre le socialisme ». Comme d’habitude, il n’a pas donné dans la nuance. « Les radicaux veulent transformer les États-Unis en un grand Venezuela. Ils veulent prendre vos armes, vos enfants, votre religion, votre histoire, votre futur et votre liberté. Jamais nous ne les laisserons faire ! » Dans la salle, les quelques milliers de participants – nationalistes, populistes, militants anti-avortement, défenseurs du droit à posséder une arme à feu, libertariens et républicains de tout poil – ont applaudi à tout rompre.

La CPAC est révélatrice de la droitisation du Parti républicain, dont 93 % des sympathisants approuvent désormais l’action de Donald Trump. Ce dernier revient de loin. En 2015, il était hué quand il a suggéré sur la grande scène du même événement qu’il fallait envoyer des troupes au sol pour battre l’État islamique. Mais, en 2020, le grand raout s’est transformé en rassemblement trumpiste géant, où les casquettes rouges floquées du nouveau slogan de campagne « Keep America Great » (« Maintenons la grandeur de l’Amérique ») ont fait florès. Mitt Romney, seul sénateur républicain à avoir voté pour la destitution du président américain au terme de son procès devant le Sénat, n’a pas été invité et a même été hué à plusieurs reprises à l’invitation des intervenants.

Ici, même les penchants autoritaires et les propos sexistes, racistes et xénophobes de Donald Trump sont pardonnés. On préfère mettre en avant les bons chiffres de l’emploi et de la Bourse, ainsi que les promesses tenues concernant la lutte contre l’avortement, la nomination de juges conservateurs dans les tribunaux fédéraux ou encore les baisses d’impôts. «Il vient de la télé-réalité. Il exagère les choses pour faire passer son message. Ce sont les médias qui ne parlent que des choses négatives», minimise Donald Riccio. Ce sexagénaire new-yorkais a voté Trump à reculons en 2016, mais il est aujourd’hui convaincu. «Je n’ai jamais vu un président républicain faire autant de bonnes choses, notamment réduire les impôts. Ça ne peut que faire du bien à l’économie. N’importe qui peut trouver un emploi maintenant. Il va gagner haut la main. Peu importe qui est le candidat démocrate. »

Dans les couloirs de la CPAC, on balaie d’un revers de main la critique selon laquelle le Parti républicain aurait glissé à droite sous le mandat de Donald Trump. Ce sont les démocrates qui, par leurs attaques contre leur champion (procès en destitution, enquête sur l’ingérence russe dans l’élection de 2016, etc.), sont vus comme les plus radicaux. Les bons résultats du « démocrate-socialiste » Bernie Sanders (favorable à l’intervention de l’État dans le domaine de l’environnement et de la santé, notamment) lors des premières primaires du parti ne font que renforcer ce discours. «Ils veulent nous taxer, tuer nos bébés, faire entrer les immigrés illégaux et leur donner plus d’avantages qu’à nos vétérans, nous endoctriner à l’école. Ils haïssent ce pays», lance Greg Aselbekian, fondateur d’une association d’anciens militaires pro-Trump. Selon lui, Bernie Sanders ne devrait pas avoir le droit se présenter. Après tout, «nous sommes allés en guerre contre les communistes ! ».

La base de Donald Trump ne voit pas (ou ne veut pas voir) que la gauchisation du Parti démocrate, liée notamment aux conséquences de la crise économique de 2008, ne fait pas l’unanimité parmi les candidats à l’investiture. À l’inverse de Bernie Sanders et d’Elizabeth Warren, qui veulent remplacer le secteur assurantiel privé par une couverture médicale universelle gérée par l’État, des candidats comme Joe Biden militent pour un renforcement de l’Obamacare, la réforme du système de santé de Barack Obama, qui permettrait aux Américains qui le souhaitent de conserver leur couverture privée (1). D’ailleurs, les candidats centristes, à l’image de l’ex-maire de New York Michael Bloomberg, ont publiquement mis en garde contre le danger que représenterait l’investiture de Bernie Sanders. Elle serait synonyme à leurs yeux d’une victoire automatique de Donald Trump, car elle effraierait les républicains modérés, marqués par le souvenir de la guerre froide et craignant une hausse de leurs impôts.

Reste que démocrates et républicains ont rarement paru aussi éloignés, chaque camp convaincu que l’autre fait peser un grand danger sur le pays. Selon un sondage de l’Institut Pew paru l’an dernier, 79 % des démocrates jugent le Parti républicain négativement et 83 % des républicains voient le Parti démocrate de la même manière. Des taux en forte augmentation depuis 2016. Ce climat de division rend difficile tout compromis au Congrès, où le pouvoir législatif est partagé entre les démocrates, majoritaires à la Chambre des représentants, et les républicains, qui le sont au Sénat.

Conservateur de longue date, Scott Kline estime que les démocrates sont trop à gauche aujourd’hui. «Moi qui ai vécu la chute du communisme sous Reagan, je n’aurais jamais pensé qu’on se retrouverait à devoir choisir entre capitalisme et socialisme, confie ce consultant politique. Nous, nous n’avons pas bougé. Nous sommes plus républicains qu’avant. Donald Trump nous a encouragés à parler davantage de nos valeurs, ce qui donne l’impression que nous sommes plus à droite. En réalité, nous nous sommes ouverts à d’autres profils, comme les jeunes et les minorités. » Pour Alirio Martinez, un républicain hispanique qui participe à la CPAC depuis 2008, les critiques répétées des démocrates et des médias contre le président américain n’ont fait que renforcer son engagement trumpiste. « Ça me met encore plus en colère, dit-il. Je veux réveiller les gens autour de moi, leur dire d’ouvrir les yeux. »

(1) Il ne reste plus aujourd’hui dans la course à l’investiture démocrate que Bernie Sanders et le centriste Joe Biden.

Alexis Buisson à Oxon Hill, banlieue de Washington

Monde
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