Journalistes au temps du virus (semaine 6)

Ce _Politis_ porte le numéro 1600, beau millésime que nous aurions salué plus festivement s’il ne survenait pas en pleine crise Covid.

Gilles Wullus  • 22 avril 2020
Partager :
Journalistes au temps du virus (semaine 6)
© Photo : Hristo Rusev / NurPhoto / NurPhoto via AFP

La vie d’un hebdomadaire ne s’égrène pas qu’en semaines, mais en numéros, identifiant unique qui échappe en général aux lecteurs et aux lectrices, mais qui ponctue le boulot de la rédaction. Ce Politis porte le numéro 1600, beau millésime que nous aurions salué plus festivement s’il ne survenait pas en pleine crise Covid. Dans le 1500, paru en avril 2018, il était beaucoup question de projets rétrogrades de la majorité macroniste (chômage, justice, Parlement, parcoursup…), qui n’avait pas un an. Qui imagine ce que contiendra le 1700 qui devrait théoriquement paraître juste dans l’entre-deux-tours de la présidentielle 2022 ? Au vu des immenses bouleversements en cours, cette échéance, cardinale dans les institutions françaises, apparaît bien dérisoire.

Politis tient le coup, depuis sa fondation il y a trente-deux ans. C’est un titre modeste (diffusion, notoriété, effectifs, pagination, salaires…), mais il tient le coup. Car sa force principale, c’est qu’il ne dépend que de son lectorat. Et la volonté tenace de ses animateurs de ne rien céder de son indépendance. Qui se souvient encore de L’Événement du jeudi, né peu avant Politis, fondé sur une souscription de lecteurs, mais finalement vendu à un groupe de presse (Lagardère), et disparu de l’histoire à l’aube du XXIe siècle ? Combien de titres sont nés depuis, mais n’ont pas duré, avalés par des groupes ou morts de trop dépendre de leurs annonceurs ? La publicité a été une vache à lait dont la presse s’est gorgée, jusqu’à s’en asphyxier et être incapable de s’en passer quand la manne s’est raréfiée. Avec la crise, elle est tarie, et les télés, radios et journaux « commerciaux » lancent des appels à l’aide désespérés au gouvernement, qui y « réfléchit ». L’argent public servira-t-il à compenser pour ces médias les millions d’euros déversés par les banques, les lessiviers, les constructeurs automobiles pour vendre leurs produits ? Sans compter que ces médias appartiennent presque tous à des groupes qui privilégieront toujours leurs intérêts premiers, qui le fret maritime (Bolloré), qui l’énergie (Kretinsky), qui le BTP (Bouygues), qui les télécoms (Drahi, Niel), etc., bien loin des enjeux démocratiques qui devraient régir le rôle de la presse.

Le tournant est là, et il vaut pour le paysage médiatique comme pour l’ensemble de l’économie : la sortie de crise ne sera-t-elle qu’un sauvetage du monde d’avant, ou l’opportunité historique de rebâtir autrement, plus viable, plus durable, plus juste ? Même si la crise aura sans doute des conséquences pour l’économie du journal, elle ne remet pas en cause notre choix historique d’indépendance. Politis ne mourra jamais de la chute d’un cours de Bourse ou du caprice d’un industriel. Merci de votre soutien, bonne lecture de ce numéro et des suivants.

Publié dans
Parti pris

L’actualité vous fait parfois enrager ? Nous aussi. Ce parti pris de la rédaction délaisse la neutralité journalistique pour le vitriol. Et parfois pour l’éloge et l’espoir. C’est juste plus rare.

Temps de lecture : 3 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Procès de Bolsonaro : au-delà d’un test démocratique pour le Brésil
Monde 2 septembre 2025

Procès de Bolsonaro : au-delà d’un test démocratique pour le Brésil

L’ancien président d’extrême droite entre en jugement ce mardi 2 septembre, accusé de tentative de coup d’État en 2023. Un enjeu crucial pour les institutions du pays, alors que Trump pourrait alourdir les sanctions qu’il a prises contre le Brésil, accusé de mener une « chasse aux sorcières ».
Par Patrick Piro
Une couverture noire pour briser le silence
Parti pris 31 août 2025

Une couverture noire pour briser le silence

Face à l’hécatombe de journalistes à Gaza et au silence qui l’entoure, des dizaines de rédactions à travers le monde – de Mediapart à Al Jazeera en passant par The Independent et Politis – s’unissent pour alerter : le droit d’informer est attaqué. En publiant une couverture noire, Politis et les partenaires de l’initiative engagée par Reporters sans frontières (RSF) et Avaaz, rappellent que protéger la presse c’est défendre la vérité et la mémoire collective.
Par Pierre Jacquemain
Le crépuscule de Jupiter ou l’impasse présidentielle
Emmanuel Macron 29 août 2025

Le crépuscule de Jupiter ou l’impasse présidentielle

À bout de souffle, Emmanuel Macron se retrouve isolé, sans majorité et contesté à la fois dans la rue et sur la scène internationale. Entre menace de pleins pouvoirs et incapacité à ouvrir une issue politique, la présidence vacille, révélant l’impasse d’une Ve République en crise.
Par Pierre Jacquemain
Gaza : l’effacement planifié d’un peuple
Parti pris 27 août 2025

Gaza : l’effacement planifié d’un peuple

Depuis l’offensive terrestre déclenchée au lendemain de l’attaque menée par le Hamas le 7 octobre 2023, Israël a lentement mais méthodiquement broyé le territoire palestinien.
Par Pierre Jacquemain