Stéphane Delorme : « La critique gêne le marché »

Dans un ultime numéro, la rédaction démissionnaire des _Cahiers du cinéma_ défend l’idée d’une approche exigeante et politique des œuvres. Explications avec son ex-rédacteur en chef, Stéphane Delorme.

Christophe Kantcheff  • 29 avril 2020 abonné·es
Stéphane Delorme : « La critique gêne le marché »
© François Truffaut fut un critique des Cahiers à la plume libre.Photo : COLLECTION CHRISTOPHE/Pierre Zucca/AFP

Démissionnaire à la suite du rachat du titre par des affairistes proches du pouvoir et par des producteurs (voir Politis n° 1593, du 5 mars), la rédaction des _Cahiers du cinéma part sur un coup d’éclat : un ultime numéro d’exception. Thème annoncé en une : « Qu’est-ce que la critique ? », sur une image de vagues (nouvelles ?) issue d’Adieu au langage, de Jean-Luc Godard. Pas de veillée funèbre, encore moins de règlement de comptes. Ce numéro constitue un formidable acte de foi, qui se présente sous la forme d’un texte de 25 pages foisonnant, pétulant, stimulant, signé par les quinze membres de la rédaction. Un texte collectif comme un point d’orgue à ces douze dernières années où cette rédaction était en place – et les éditions Phaidon propriétaires des Cahiers –, mais aux allures de manifeste, qui pourrait tout autant surgir à la faveur de commencements. Le geste a de la classe… L’adage dit : « La critique est aisée, l’art est difficile »… Rien n’est plus faux quand on tient la critique pour une activité sérieuse (à exercer sans esprit de sérieux), et non pour ce qui se pratique hélas le plus souvent : une Bourse des valeurs culturelles délivrant des bons à consommer. Ce numéro affirme que la critique est une pratique professionnelle, un espace pour penser le cinéma et le monde, et un sport de combat.

« Si la critique a un sens, c’est celui de défendre une cause, défendre des principes et des idées. Il faut donc savoir au nom de quoi on parle et on juge. […] On juge à partir de principes esthétiques, moraux, politiques. Le critique a un point de vue et il aime que le cinéaste ait aussi un point de vue. » Ça démarre fort. La suite ne faiblit pas. D’autant que toutes les questions complexes sont abordées : de quoi est fait ce jugement (ou « l’art d’aimer ») ? Que fait le critique du chaos de ses émotions face à l’œuvre ? Comment s’élabore l’écriture ?

Cette plume collective ferraille, furieusement politique. La critique ici défendue est aussi exigeante qu’elle est insoumise. Réfractaire aux mots d’ordre, ceux de la promotion comme ceux de la censure, en butte aux forces contraires, celles de tous les pouvoirs. « Si l’on consent à la docilité, à l’abandon de notre tâche (de) critique, à quoi consent-on ? À prolonger le monde (et le cinéma) tel qu’il est pour tous, c’est-à-dire tel qu’il est façonné par l’idéologie de quelques-uns, à se rendre complice de la catastrophe. » Explication avec le désormais ex-rédacteur en chef des Cahiers, Stéphane Delorme.

Pourquoi avoir pris la critique comme sujet ? Était-ce important que ce texte soit signé par toute la rédaction ?

Stéphane Delorme : La critique a mauvaise presse aujourd’hui. Et cela ne concerne pas seulement le cinéma, mais tous les domaines. On avait donc envie de

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Cinéma
Temps de lecture : 14 minutes