Tony Allen, l’autre Black President de l’afrobeat

Notre Voyage autour de nos chambres #41 salue le génial batteur nigérian décédé en France le 30 avril à l’âge de 79 ans suite à un malaise. Co-inventeur de l’afrobeat auprès de Fela Kuti, il avait ensuite mené une carrière dominée par sa culture jazz.

Patrick Piro  • 2 mai 2020
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Tony Allen, l’autre Black President de l’afrobeat
© Le batteur Tony Allen à Turin, 22 septembre 2018. Photo : GIORGIO PEROTTINO / GETTY IMAGES EUROPE / Getty Images via AF

C’est un nom largement inconnu du grand public. Mais dans le monde de la musique, on se prosternait. Pour certains, Tony Allen était tout simplement le plus grand batteur vivant. Le maître Fela Kuti aurait dit de lui qu’il jouait « comme quatre », voire « comme cinq ». Emphases qui signalent l’existence d’une légende vivante. Tony Allen naît à la notoriété dans les années 1960 quand il rencontre à Lagos, son compatriote Fela Kuti. On attribue naturellement la paternité de l’afrobeat au saxophoniste, qui gagnera le surnom de « Black President », en raison de son rayonnement mais aussi de son engagement auprès des plus pauvres, contre la corruption, l’emprise des multinationales, les dictateurs nigérians. D’un voyage fondateur aux États-Unis, les deux compères rapportent une partie des ingrédients de l’alliage afrobeat, où sont fondus le jazz, des rythmes locaux (yoruba, highlife ghanéen) et le funk étasunien. L’afrobeat envoûtera la capitale nigériane bouillonnante, puis l’Europe et le monde. Le style, comme le reggae en son temps, est un temps pleinement associé à des revendications à caractère politique, comme dans l’album Progress.

Tony Allen, l’autre touilleur de chaudron, est a minima le « Prime minister » de Kuti, voire son co-président. Certes calé dans les arrières-scènes, le batteur était aussi compositeur et (c’est rare) directeur musical du groupe Afrika ’70 de Kuti.

À partir de 1978, Allen rompt le cordon avec le père et vole de ses propres ailes. Il fréquente Londres puis s’installe à Paris, développe son style, manifeste son éclectisme en explorant jusqu’à l’électro, avec Black Voices.

Allen n’était pas de ces rouleurs de biceps tatoués en marcel, mais de la tribu des carresseurs de peau, comme il aimait à se classer. On lui doit près de 80 disques, comme artiste principal ou en collaboration. S’il n’avait pas la fougue politique de Kuti, il n’est jamais resté éloigné, à travers sa musique, d’engagements pour la cause noire. En 2010, il enregistre plusieurs pistes avec le trompettiste sud-africain Hugh Masekela, l’un des artistes majeurs de la lutte anti-apartheid. Contingences d’agendas et de priorités, le label World Circuit ne ressort les bandes du tiroir qu’en 2018 : Masekela vient de mourir. Allen accepte cependant d’achever le disque. Il est sorti tout récemment, le 20 mars. Dans l’hommage au complice artistique, on se plaît à lire d’autres messages postumes. L’un des titres évoque l’espoir suscité par Obama. Un autre scande « Lagos will never be the same without Fela » (Lagos ne sera plus jamais la même, sans Fela).

Jusqu’au titre de l’album, Rejoice (Réjouissez-vous), qui distille l’espoir « quand même », alors que le Nigeria, frappé par le covid-19, a décidé un déconfinement progressif à partir du 4 mai. Allez, Slow bones pour la route.

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Musique
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