Éric Rohmer : Le souffle du cinéma

Éric Rohmer, décédé il y a dix ans, aurait été centenaire cette année. L’occasion de revoir ses films et de lire ses critiques réunies en recueil.

Christophe Kantcheff  • 10 juin 2020 abonné·es
Éric Rohmer : Le souffle du cinéma
© Photo : Ilse Ruppert/AFP

Dans La Collectionneuse (1967), le narrateur affirme rechercher « le rien, le vide », ce qui relève d’évidence de l’utopie. On pourrait partir de ce propos pour caractériser ce dont le cinéma d’Éric Rohmer s’est toujours mis en quête. On a souvent parlé de l’accueil que réservaient ses films à la banalité. Le cinéaste lui-même ne récusait pas le terme. Mais c’est là tout le paradoxe : par quel miracle – ce mot à son sujet n’est pas choisi par hasard – ses films, dont les intrigues sont ténues, atteignent-ils finalement une plénitude, et même une grandeur a priori insoupçonnée ?

L’occasion de se reposer cette question est donnée par le calendrier : décédé il y a dix ans, Éric Rohmer aurait eu 100 ans cette année. Si l’intégrale de son œuvre est sortie en DVD et Blu-ray dans un beau coffret en 2013 (chez Pyramide), le site d’Arte propose de revoir trois de ses films de la fin des années 1960, appartenant au cycle des « Contes moraux » : La Collectionneuse, Ma nuit chez Maud (1969) et Le Genou de Claire (1970). Parallèlement, est publié un recueil de ses articles, Le Sel du présent, qui n’avaient pas été réunis jusqu’ici. Ce ne sont pas ceux des Cahiers du cinéma (dont Rohmer a été le rédacteur en chef entre 1957 et 1963), mais ceux qu’il destinait à des publications culturelles, plutôt de droite, comme Arts, où écrivait aussi François Truffaut. Ces textes, qui donnent une idée de la production cinématographique des années 1950, sont plus journalistiques, bagarreurs, parfois drôles, souvent préparatoires de son œuvre à venir.

La pensée que le cinéma est un art spécifique, radicalement différent dans son essence des autres arts, apparaît ici clairement. On a pourtant souvent associé Rohmer à la littérature (jeune, il a publié un premier roman chez Gallimard) ou au théâtre, en raison des longs dialogues dont il a le goût. C’est un contresens. Ces dialogues n’ont de raison d’être que parce qu’ils sont filmés, dans un espace spécifique (que ce soit une chambre ou le lac d’Annecy) savamment intégré dans le cadre, et portés par des acteurs inouïs, c’est-à-dire qu’on ne reverra jamais ainsi ailleurs, qu’ils soient inconnus ou réputés (Jean-Claude Brialy et Béatrice Romand dans Le Genou de Claire, Jean-Louis Trintignant dans Ma nuit chez Maud sont extraordinaires).

Voilà qui donne un élément de réponse à notre question initiale : si les films de Rohmer nous procurent autant de jouissance, c’est parce qu’ils respirent le cinéma. Cette assertion peut sembler relever de l’évidence. Elle ne se vérifie hélas pas si souvent.

Le Sel du présent, Éric Rohmer, édition établie par Noël Herpe, Capricci, 512 pages, 22 euros.

La Collection-neuse, Ma nuit chez Maud et Le Genou de Claire sur arte.tv

Cinéma
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