L’esprit Bedos n’est pas mort

Après sept mois d’une crise sanitaire à durée indéterminée, la politique de gribouille du gouvernement génère une tension grandissante.

Patrick Piro  • 30 septembre 2020
Partager :
L’esprit Bedos n’est pas mort
© Thomas SAMSON / AFP

Nicolas a du talent, et il porte au moins en héritage une part de celui qui rendait Guy indispensable : une grande liberté d’esprit et une grande gueule pour le dire. Le 24 septembre, Nicolas Bedos se fend d’une diatribe torrentielle où il invite à « arrêter tout ». Les masques, les confinements (« excepté face à vos parents très fragiles »). Vivez à fond, lâche-t-il, « nous devons désormais vivre, quitte à en mourir ». Les sarcasmes ont déferlé. Le ministre de la Santé, Olivier Véran, parle d’« effet de tribune » et d’« exutoire personnel ». Bref, Bedos est irresponsable, bobo lamentable qui fait si peu de cas de la circulation du virus et de la menace d’une deuxième vague.

Mais qu’entend-on, sous la forme, de ce ras-le-bol dont il se fait l’aboyeur ? Qui monte dans les rues, même vides, où le masque est obligatoire. Dans ces bars fermés à 22 heures, quitte à renvoyer leur clientèle vers des espaces hors de contrôle. Dans la bouche des maires apprenant une heure avant l’annonce ministérielle que leur ville est placée en alerte renforcée ou plus. Et quel but poursuit Paris à stigmatiser une fois de plus Marseille (avec Aix), seule zone métropolitaine sous « alerte maximale » ?

Après sept mois d’une crise sanitaire à durée indéterminée, la politique de gribouille du gouvernement génère une tension grandissante, où la menace (attention, on va re-confiner) alterne avec l’autoritarisme. Les ministres ânonnent ad libitum que le virus est toujours là, ce que nul ou presque n’ignore. Comme si le besoin de vivre à peu près normalement, malgré le risque (et il y en a bien d’autres), n’était pas aussi une priorité sanitaire. Les consultations psycho-sociales sont en forte hausse, ce que des spécialistes relient à un climat Covid anxiogène, dominé par des injonctions négatives.

Et puis la crédibilité de la parole publique n’en finit pas de se dégrader. Le Gersois Castex n’a-t-il pas été choisi pour jouer la concertation avec les territoires ? Lui qui avoue n’avoir pas téléchargé l’application Stop Covid, que le gouvernement présentait comme un pilier de cette responsabilisation à laquelle le Premier ministre exhorte les Français·es… Lundi circulait l’image de ministres se rendant au Conseil des ministres en grappe et sans masque.

Sibeth Ndiaye, qui reste décidément une excellente porte-parole du gouvernement tant elle en livre sans filtre le fond de la pensée, déclarait la semaine dernière à la commission sénatoriale enquêtant sur la gestion de la crise sanitaire que la critique des mesures de l’exécutif, au début de l’épidémie, tient à un « défaut d’acculturation scientifique de la population française ». Un mépris qui a visiblement toujours cours au sein du gouvernement.

Publié dans
Parti pris

L’actualité vous fait parfois enrager ? Nous aussi. Ce parti pris de la rédaction délaisse la neutralité journalistique pour le vitriol. Et parfois pour l’éloge et l’espoir. C’est juste plus rare.

Temps de lecture : 2 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Algérie : unis derrière le RN, les députés effacent la mémoire coloniale
Parti pris 30 octobre 2025

Algérie : unis derrière le RN, les députés effacent la mémoire coloniale

L’Assemblée nationale a adopté, pour la première fois sous la Ve République, un texte du Rassemblement national. Il ne fallait qu’une voix de plus pour l’en empêcher. Derrière la technicité du débat sur l’accord franco-algérien de 1968, c’est un basculement politique majeur.
Par Pierre Jacquemain
Alerte rouge sur le front républicain
Parti pris 29 octobre 2025

Alerte rouge sur le front républicain

Nouvel indicateur de la victoire de la dédiabolisation de l’extrême droite, l’effritement significatif du front républicain. Plus qu’une photographie du moment, un sondage que Politis publie ce 29 octobre doit sonner l’alerte, notamment à gauche dont une partie des sympathisants décroche du réflexe dit « républicain ».
Par Pierre Jacquemain
Budget : le pari perdu d’avance d’Olivier Faure
Parti pris 16 octobre 2025

Budget : le pari perdu d’avance d’Olivier Faure

Alors qu’Olivier Faure, le patron des socialistes, promet de « grandes victoires » à venir dans le cadre du débat budgétaire, les contraintes parlementaires et l’équilibre des forces en présence au Parlement garantissent, ni plus moins, l’échec de la promesse socialiste.
Par Pierre Jacquemain
Lecornu : au PS, chronique d’une trahison permanente
Parti pris 14 octobre 2025

Lecornu : au PS, chronique d’une trahison permanente

Le PS s’apprête à ne pas voter la censure contre le gouvernement Lecornu. Une décision au nom de la « responsabilité » qui ravive pourtant un vieux soupçon : celui d’un parti incapable de choisir entre rupture et accommodement. À trop vouloir durer, le socialisme français risque surtout de s’effacer.
Par Pierre Jacquemain