Jean-Luc Lagarce à la mort, à la vie

Dans Un jour, je reviendrai, Sylvain Maurice rassemble deux monologues autobiographiques de l’écrivain, interprétés par Vincent Dissez.

Anaïs Heluin  • 21 octobre 2020 abonné·es
Jean-Luc Lagarce à la mort, à la vie
© Christophe Raynaud de Lage

Entre le metteur en scène Sylvain Maurice et le comédien Vincent Dissez, c’est une histoire de vie et de mort. Dans une adaptation pour la scène du fameux Réparer les vivants de Maylis de Kerangal, créée en 2017, l’acteur interprétait tous les maillons de la chaîne humaine constituée autour d’un jeune surfeur accidenté.

Sur un tapis roulant, l’athlète de la parole, accompagné du musicien Joachim Latarjet, disait la transplantation cardiaque dans un souffle épique. Il poursuit aujourd’hui cette course dans Un jour, je reviendrai en s’emparant d’une tout autre écriture : celle de Jean-Luc Lagarce. Composée de deux textes autobiographiques de l’auteur, emporté par le sida en 1995, à l’âge de 38 ans, cette pièce nous mène de nouveau dans des espaces intermédiaires entre présence et disparition. Avec une épure, une simplicité plus grande encore que dans Réparer les vivants, Vincent Dissez entre dans le verbe heurté, hésitant de Lagarce. Un verbe de fantômes bien présents.

C’est avec précaution, presque en catimini, que l’acteur pénètre dans L’Apprentissage. Déjà mis en scène par Sylvain Maurice en 2005 avec l’acteur Alain Macé, ce texte écrit en réponse à une commande de Roland Fichet sur le thème « récit de naissance » est en fait le récit d’un retour à la vie. Après un moment de coma, l’auteur y décrit son retour parmi les vivants avec l’élégance et l’humour qui lui sont propres, et que le comédien d’Un jour, je reviendrai s’approprie avec les mêmes qualités.

Loin de l’attitude théâtrale qui était, paraît-il, celle de Jean-Luc Lagarce au quotidien, sans ses tenues exubérantes, Vincent Dissez met tous les muscles saillants de son corps filiforme au service de la langue. Par les mots, il se fait « revenant », terme souvent utilisé par l’auteur de Juste la fin du monde pour désigner ces nombreux défunts qui reviennent hanter les vivants.

Le plaisir de l’acteur au contact de l’écriture est manifeste. Plus il avance dans son monologue, plus il s’anime. Jusqu’à une rupture assez soudaine : à peine l’homme dont il parle à la première personne – il se situe toujours au seuil de l’incarnation – a-t-il retrouvé ses marques dans le quotidien et le théâtre que la maladie le frappe de nouveau. Après un court silence et un changement d’éclairage, Un jour, je reviendrai se poursuit avec un autre texte : Le Voyage à La Haye. Cette fois, Vincent Dissez entre en trombe dans l’œuvre. C’est qu’il n’est plus question ici de résurrection, même temporaire. Le temps est compté.

Dans ce texte écrit quelques années après le premier, à partir du même Journal intime qui a servi de base à la construction de L’Apprentissage, la maladie a déjà fait tant de ravages que tout espoir est vain. Le marathon de l’interprète n’en est pas moins lumineux, plein de la curiosité amusée dont Jean-Luc Lagarce a toujours fait preuve envers le monde. Consacré à la dernière tournée de l’auteur avec les membres de sa compagnie La Roulotte, ce texte est une déclaration d’amour au théâtre que l’on se réjouit de voir revenir parmi nous.

Un jour, je reviendrai****, Théâtre de Sartrouville-CDN, du 1er au 23 octobre, 01 30 86 77 79 ; les 2 et 3 décembre au Théâtre de Lorient-CDN.

Théâtre
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