Nous pouvons gagner la guerre climatique

Extrait du discours de Lucie Pinson, lauréate 2020 pour l’Europe du prix Goldman pour l’environnement, en reconnaissance de son action pour la fin des financements du charbon.

Lucie Pinson  • 16 décembre 2020
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Nous pouvons gagner la guerre climatique
Une action contre une mine de charbon en Allemagne, le 26 septembre 2020.
© David Young / DPA / dpa Picture-Alliance via AFP

Les événements climatiques extrêmes s’intensifient, paupérisant encore plus les moins responsables de la catastrophe écologique et attisant les tensions sociales. Beaucoup se tournent vers des décideurs politiques et économiques. Mais, après des décennies de lutte écologiste et autant de mouvements successifs – dont le dernier insufflé par Greta Thunberg il y a plus d’un an –, le sursaut n’est toujours pas là.

Et pourtant nous pouvons gagner la guerre climatique. C’est ce que je me suis refusée à croire pendant des années. Comme beaucoup d’autres, je ne voyais pas ce que moi, seule, « personne », pouvais faire face à cette catastrophe en marche. Et puis j’ai découvert le secteur le plus polluant au monde : la finance.

Malgré toute la bonne volonté – affichée ou sincère – de la finance dite durable, la finance majoritaire alimente la catastrophe climatique. Banques, assureurs et investisseurs orientent la majorité de leurs services vers le développement de pratiques dopées aux énergies fossiles. La finance est aujourd’hui complice de la surexploitation des ressources naturelles et de lourdes violations des droits humains. L’ex-Président François Hollande a proclamé : « Mon adversaire, c’est le monde de la finance. » Mais non. L’adversaire, c’est ce que j’appelle la culture de la défaite.

Le plus grand mal de nos sociétés n’est peut-être pas d’anéantir le vivant et de détruire nos environnements, mais de faire croire que nous n’y pouvons rien changer. Chacun a ses raisons pour se penser impuissant, chacun a sa montagne infranchissable pour se sentir trop petit.

Les comportements individuels changent, mais cette culture mène beaucoup à renoncer à changer les règles du jeu, avant même d’avoir essayé. La majorité cultive son jardin ou balbutie son désaccord à la machine à café. La minorité impliquée, salarié·es d’ONG ou responsables RSE en entreprise, s’autocensure pour se cantonner au rôle attendu d’elle. Ici, on conteste, on porte des demandes plus symboliques qu’utiles ; là, on donne l’apparence d’une entreprise responsable sans porter des initiatives vraiment impactantes mais aussi plus disruptives. On nettoie le camp de base, mais on n’attaque jamais la montée.

Nous pouvons gagner la guerre climatique, mais à condition de ne pas rester témoins ou figurants de la catastrophe climatique. Celle-ci n’a rien d’inéluctable. Comment gravir une montagne infranchissable ? Un pas après l’autre.

C’est ce que j’ai décidé de faire en 2013 en m’engageant aux côtés des Amis de la Terre dans une des nombreuses batailles à mener si nous voulons gagner la guerre climatique : stopper les énergies fossiles. Pour cela, il faut avant tout couper le robinet : provoquer l’arrêt des financements à ces industries.

J’ai mis, aux côtés de mes collègues, toute mon énergie à convaincre ces acteurs, un par un, d’adopter des mesures inédites et ambitieuses visant à stopper le charbon. Cela ne s’est pas fait d’un coup, mais par étapes. À coups de pédagogie, de négociations et de combats. Une banque après l’autre, un assureur après un investisseur. Toujours avec une conviction en tête : chaque victoire isolément ne suffira pas à contenir le réchauffement sous 1,5 °C mais sauve immédiatement des vies… et est sur le long terme indispensable pour gagner la guerre climatique.

Depuis les premières mesures arrachées en 2015, les jalons se sont succédé, et aujourd’hui près d’une vingtaine d’acteurs financiers de taille significative sont en voie de soutenir de manière efficace la sortie du charbon au niveau international. À chaque étape, on m’a tout d’abord rétorqué des « c’est impossible, on se tirerait une balle dans le pied », « c’est irréaliste et ça ne passera jamais les validations de mes supérieurs, ce n’est pas même la peine d’essayer ». Puis l’impossible devenait envisageable avant finalement de passer les ultimes validations. Le risque de réputation a été essentiel à ces victoires, mais celles-ci n’auraient pu advenir sans la conviction d’individus qu’ils peuvent, individuellement et collectivement, changer les choses.

Aujourd’hui, j’ai l’honneur de recevoir le Goldman Environmental Prize. Ce prix, remis à six personnes tous les ans, démontre que chacun d’entre nous peut arracher les victoires d’étape nécessaires pour gagner la guerre climatique. Oui, le monde va mal. À nous tous de refuser cela. Ne nous laissons pas piéger par la culture de la défaite, qui nous tue à petit feu. À chaque fois que quelqu’un monte une marche, nous sommes en train de gagner la guerre climatique.

Lucie Pinson Fondatrice et directrice de Reclaim Finance, association affiliée aux Amis de la Terre France. L’intégralité du discours est en ligne sur le site de Reclaim Finance.

Publié dans
Le temps du climat
Temps de lecture : 4 minutes
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