Susan George : Itinéraire d’une femme engagée

Le portrait vivifiant de Susan George, infatigable militante altermondialiste que rien ne prédisposait à la lutte politique.

Denis Sieffert  • 16 décembre 2020 abonné·es
Susan George : Itinéraire d’une femme engagée
© AFP

Voilà un petit livre qui donne de l’énergie. Bilan de luttes contre la faim dans le monde, contre l’imposture de la dette et tant d’injustices, il est aussi, en filigrane, un beau portrait de femme, sous un discours simple et modeste. Susan George, qui est aujourd’hui présidente d’honneur d’Attac, retrace l’itinéraire improbable de la jeune fille de bonne famille qu’elle fut, originaire d’Akron, dans l’Ohio, le « Clermont-Ferrand des États-Unis ». Rien ne la prédisposait à devenir une femme engagée pour des causes qui auraient pu lui rester étrangères, si ce n’est une conscience toujours en éveil et une volonté farouche.

C’est d’abord le rêve d’une France mythique, celle des grands intellectuels des années 1950, qui la conduira de ce côté-ci de l’Atlantique. Elle débarque à 21 ans, en 1955, avide de savoirs mais peu politisée. Comme beaucoup de jeunes Américains, c’est la guerre du Vietnam qui sera l’événement déclencheur. Au début des années 1960, elle écrit à Noam Chomsky pour offrir ses services à la cause. Et voilà la jeune bourgeoise de l’Ohio membre très active du Paris American Committee to Stop War (PACS), et bientôt fichée par les renseignements généraux comme dangereuse activiste. Elle rejoint ensuite un think tank, le Transnational Institute, qui l’orientera vers d’autres combats. Elle participe en 1974 à la préparation d’un rapport sur la faim dans le monde. Ce sera son grand combat et le sujet de nombreux ouvrages qui ont fait date, dont le premier : Comment meurt l’autre moitié du monde. Plus tard, ce sera le fameux Rapport Lugano, dans lequel elle imagine, plus vraie que nature, une réunion d’experts sur le thème : « Comment préserver et parfaire le capitalisme au XXIe siècle ».

Le grand mérite de Susan George est d’avoir politisé la question de la faim dans le monde, envisagée jusque dans les années 1980 comme un effet mécanique de la surpopulation. Une « fatalité » qui arrangeait bien les affaires des États-Unis et de l’agrobusiness. « La faim a une dimension politique et est souvent un bel exemple de la lutte des classes », note Susan George, qui observe que le fléau a tout de même significativement reculé. Mais «la question reste comme toujours : qui contrôle les terres et leurs productions ? » Et les lobbys infiltrent toujours les institutions au service de transnationales toutes-puissantes comme Monsanto-Bayer. « Chercheurs de l’avenir, prenez note ! » exhorte-t-elle. Le combat continue. Avec Attac, Susan George a également contribué à politiser la question de la dette, produit d’un « colonialisme invisible ». De loin en loin, l’économiste a analysé les ressorts du néolibéralisme, ce « capitalisme conquérant, antiétatique, dont la valeur primordiale est le chacun pour soi ». Quand on lui demande sa devise, Susan George répond : « Aimer et travailler […] et rire si possible ».

Je chemine avec… Susan George Entretiens menés par Sophie Lhuillier, Seuil, 144 pages, 12 euros.

Idées
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