Aziz Mohammed : La révolte des cellules

Le poète Aziz Mohammed offre à travers le cas d’un jeune cancéreux le portrait drôle et cruel d’une Arabie saoudite en mal de sens.

Anaïs Heluin  • 3 mars 2021 abonné·es
Aziz Mohammed : La révolte des cellules
© Faisal Al Nasser/AFP

Pour Aziz Mohammed, le Journal de Kafka est bien plus qu’une référence. En affirmant dès le titre de son livre, Le Cas critique du dénommé K., la relation de son premier roman à ce chef-d’œuvre de l’intime, l’auteur en fait une terre d’origine. C’est aussi celle de son narrateur anonyme, employé d’une entreprise qu’il nomme « Compagnie pétro-chimique orientale » par prudence – « on ne sait jamais, un fouille-merde pourrait un jour tomber sur ce que j’ai écrit » – et parce que le personnage d’un roman de Junichirô Tanizaki travaille dans une structure ainsi nommée. On l’aura compris, le héros d’Aziz Mohammed est féru de littératures étrangères. Il s’y réfugie dès que possible, échappant ainsi à un quotidien sans relief.

Chez le jeune auteur, Kafka et d’autres grands du siècle dernier nourrissent la critique acerbe d’une société elle non plus jamais nommée mais bien reconnaissable : celle d’Arabie saoudite, dont est originaire Aziz Mohammed. En revendiquant des sources d’inspiration lointaines dans le temps et l’espace, ce dernier se place au sein d’une histoire littéraire mondiale dans laquelle son pays ne commence à peser que depuis peu. Il le fait avec humilité, en citant très souvent ses modèles et en interrogeant avec acuité l’écho qu’ils peuvent avoir à notre époque, qui plus est dans un pays plus souvent évoqué pour son rapport avec le pétrole et le mouvement islamiste que pour sa vie artistique.

La première et précoce apparition du Journal de Kafkadans Le Cas critique du dénommé K. place la filiation entre les deux œuvres à l’endroit de la maladie. « Amené à parler soudainement, un peu de salive me sortit de la bouche, tel un mauvais présage», cite le protagoniste en pleine description d’une routine professionnelle qui le plonge dans la dépression. Par ces mots de Kafka, le grand lecteur et apprenti auteur – on apprend bientôt qu’il partage son temps de travail entre la lecture et l’écriture – évoque le premier symptôme d’une leucémie non encore diagnostiquée.

La découverte du cancer opère dans le roman d’une manière inattendue : comme un nouveau départ pour le personnage, qui acquiert dès lors la consistance qui lui manquait. Dans la chronique du malade, qui s’apparente à un journal où l’autodérision l’emporte sur la plainte, littérature et maladie ne font qu’un. Elles permettent la naissance d’un regard critique, mordant sur l’époque. Elles sont le moteur d’une saine révolte de la pensée.

Le Cas critique du dénommé K., Aziz Mohammed, traduit de l’arabe par Simon Corthay, Actes Sud, « Sindbad », 320 p., 22,50 euros.

Littérature
Temps de lecture : 2 minutes