Fukushima, le chantier sans fin

Défi technique monstrueux, le démantèlement de la centrale japonaise ravagée pourrait se prolonger jusqu’en 2050.

Patrick Piro  • 3 mars 2021 abonné·es
Fukushima, le chantier sans fin
La centrale de Fukushima Daiichi, le 14 février 2021.
© Kotaro Numata/Yomiuri/The Yomiuri Shimbun/AFP

Le 11 mars 2011, une gigantesque vague de tsunami frappe la côte nord-est du Japon, mettant hors service le système de refroidissement des trois réacteurs alors en fonctionnement, sur les six que compte la centrale de Fukushima. Le combustible d’uranium (cœur) commence à fondre. L’hydrogène qui s’en dégage explose. Les bâtiments éventrés laissent s’échapper des panaches radioactifs. La population est évacuée dans un rayon de vingt kilomètres. Les terres en sont contaminées pour des décennies.

Le site de la centrale est devenu une fourmilière où s’activent 8 000 personnes, employées au démantèlement d’un enchevêtrement de matériaux radioactifs. L’exploitant de la centrale, Tepco, a été nationalisé, insolvable face au coût de cet incommensurable chantier : jusqu’à 200 milliards d’euros estimés. Pour une fin envisagée vers 2050.

Aujourd’hui, c’est encore l’eau qui accable les forçats de Fukushima. Pluie, nappe phréatique, arrosage des réacteurs qui chaufferont encore pendant des décennies, l’eau lessive les installations éventrées, se charge en radioactivité, s’infiltre et circule. Un complexe système de drainage et de pompage a été mis en place pour récupérer ces lixiviats (1), les filtrer puis les décontaminer avant d’en recycler une partie dans la boucle de refroidissement des réacteurs. Il reste un surplus de 150 mètres cubes par jour, chargés de tritium radioactif, que l’on stocke depuis des années dans une forêt de plus de mille énormes réservoirs installés autour du site. D’une capacité totale de 1,4 million de mètres cubes, ils seront saturés à l’été 2022. Pour s’en débarrasser, l’évaporation a été envisagée, mais avec l’inconvénient de libérer dans l’atmosphère du tritium, extrêmement volatil. « Pour sa dispersion, les courants marins sont plus prévisibles que les vents, aussi le rejet en mer a la préférence des techniciens, explique Patrice François, expert en démantèlement à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Mais pas des pêcheurs, du public et des pays voisins… » L’option, annoncée en octobre 2020, a été précipitamment suspendue devant le tollé local et régional. « Mais la décision presse, les politiques devront la prendre en 2021 », convient Patrice François.

L’autre priorité actuelle du chantier, c’est le retrait des assemblages de combustible usagé qui étaient entreposés dans des piscines de refroidissement à l’intérieur de chaque réacteur. Cette opération est partiellement achevée pour deux des réacteurs concernés (dont un était arrêté lors de l’accident). Pour les deux autres, il faudra d’abord achever la construction d’un dispositif de confinement au-dessus des piscines. Le retrait total de ce combustible, pour stockage dans une piscine centrale attenante au site, ne devrait pas être achevé avant 2031.

Mais il y a bien plus complexe et incertain : la récupération du corium, ce magma constitué de métaux et de minéraux issus des cœurs fondus de trois des réacteurs. Sa radioactivité est tellement intense que seuls des robots sont en mesure de s’approcher des grottes mortelles que sont devenus les réacteurs ravagés. Pour les filmer, dans un premier temps, et tenter de localiser ce corium, qui pourrait être dispersé entre la cuve du réacteur et la partie basse de l’enceinte de confinement qui l’entoure, au contact du sol en béton – le radier (2) – qu’il a pu partiellement traverser. À ce jour, un robot est parvenu à prélever une petite portion du corium dans le réacteur numéro 2. Les scénarios de démantèlement sont encore à l’étude, orientés par la connaissance peu à peu affinée de l’état des lieux. « Aujourd’hui, les enceintes de confinement sont partiellement remplies d’eau, ce qui complique encore la tâche, précise Patrice François. Et chaque réacteur est un cas particulier, qui nécessite des procédures adaptées. Il y faudra des moyens considérables. »

Fin janvier, les ingénieurs, qui imaginaient accéder au corium en passant par le haut des enceintes, ont eu une très mauvaise surprise dans deux des réacteurs morts : contre toute attente, leur couvercle semble avoir accumulé une concentration d’éléments radioactifs aussi forte qu’au fond du réacteur, dans la zone du corium. « C’est extrêmement grave », s’est alarmé le président de l’Autorité de sûreté nucléaire japonaise (NRA), considérant que le retrait de ces couvercles représentait désormais un défi majeur.

(1) Liquide résiduel engendré par la percolation de l’eau et des liquides à travers une zone de stockage de déchets, de produits chimiques ou tout simplement un sol contaminé par des polluants.

(2) Dalle épaisse en maçonnerie ou en béton constituant la fondation d’un ouvrage.

Écologie
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