La belle époque

L’affaire Pierre Ménès, c’était en 2012 et en 2016 : une ère lointaine. Presque un autre siècle où personne n’y voyait le mal.

Nadia Sweeny  • 31 mars 2021
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La belle époque
© VALERY HACHE / AFP

Ça vire vinaigre mon bon monsieur ! On ne peut plus rien dire, on ne peut plus rien faire. Même plus soulever la jupe d’une collègue, lui empoigner les fesses et rire à gorge déployée de l’humiliation infligée. Qu’elle était pourtant chouette cette époque où un commentateur sportif pouvait s’avancer vers une chroniqueuse de son choix, engoncé dans son orgueil de mâle et lui imposer, en direct à la télévision, une galoche, déclenchant les rires graveleux de quelques spectateurs et de tout un plateau télé.

C’était en 2012 et en 2016 : une ère lointaine. Presque un autre siècle où personne n’y voyait le mal. Surtout pas ces messieurs. L’air du temps est une belle excuse, la posture médiatique aussi. « On m’a embauché parce que je suis un personnage », s’est justifié Pierre Ménès devant l’une de ses victimes, Marie Portolano, dans son documentaire Je ne suis pas une salope, je suis une journaliste ! Oui, mais une journaliste sportive. Or le sport, on devrait le savoir, est une chasse gardée des mâles. Il faut donner le temps à ces messieurs de s’habituer et de bizuter les femelles qui osent s’y aventurer. D’ailleurs, soulever la jupe, « je le referai », poursuit le chroniqueur star. Et puis, « ce n’est pas un smack qui va te salir non plus, il faut se calmer ! Tout ça, c’est ce que je ne supporte plus dans le truc d’aujourd’hui. Si tu ne peux plus faire un bisou sur la bouche à une copine… Au secours ! »

L’extrait a été censuré par la direction de Canal +, employeur de Pierre Ménès et diffuseur du documentaire, parce que, quand même, l’agression sexuelle est une infraction punissable d’emprisonnement depuis… Napoléon. Avouer à la télé qu’on n’en a rien à secouer, ça fait tache.

Quand les journalistes du site Les Jours révèlent, le 24 mars, la censure et l’extrait, c’est le tollé général. EA Sports Fifa, autre employeur de Pierre Ménès, l’a viré illico. Chez Canal +, on lance une enquête interne pour « faire toute la lumière sur cette affaire » et sur certains faits dont la direction n’aurait « pas eu connaissance par le passé ». Ceux diffusés à la télévision et censurés par la chaîne ne sont pas suffisamment clairs pour le mâle Vincent Bolloré qui fait le ménage chez les chouineuses. Marie Portolano a déjà quitté la chaîne. La chroniqueuse Laurie Delhostal part en juin tandis qu’Agathe Roussel, directrice adjointe au service des sports, a été placardisée. Pour Pierre Ménès, c’est une opération com. « J’ai causé de la peine et de la gêne à des amies sans jamais avoir eu l’intention de le faire directement ou indirectement », a-t-il twitté. « Je regrette sans aucune ambiguïté tous ces gestes du passé qui ne se justifiaient aucunement. » Des gestes d’une autre époque quoi…

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Parti pris

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