Kim Stanley Robinson, splendide

Une formidable fiction climatique, écologique et sociale – et en somme toute politique.

Sébastien Fontenelle  • 21 avril 2021
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Kim Stanley Robinson, splendide
© MARK GARLICK / SCIENCE PHOTO LIBRA / MGA / Science Photo Library via AFP

L’écrivain états-unien Kim Stanley Robinson est le plus stimulant auteur de la science-fiction contemporaine. Depuis des années, il explore d’une écriture exigeante, appuyée sur de minutieuses documentations, les possibles futurs, ici et ailleurs, de notre si fragile espèce. Il a d’abord exploré, dans sa trilogie martienne (1), la possibilité d’une transformation de la planète Mars en un lieu rendu habitable par les humain·es (et autres animaux), car doté, au terme d’une titanesque entreprise de « terraformation », d’une atmosphère respirable. Il a ensuite envisagé, dans Aurora (2) – éblouissant récit –, la possibilité d’un bien plus lointain vol interstellaire d’une durée de plusieurs siècles, à bord d’un vaisseau gigantesque, vers une exoplanète habitable. De tels projets existent réellement, à l’état d’hypothèses, dans les cartons de la Nasa, mais Robinson a finalement conclu, au terme de sa quête romanesque, à l’extrême vanité d’une telle aventure. Non sans suggérer au passage, et comme pour marquer que lui-même avait, sur de telles questions, quelque peu modifié son point de vue depuis l’époque où il terraformait Mars, qu’il serait de toute façon illusoire d’imaginer notre survie ailleurs que sur la surface de notre bonne vieille Terre.

De sorte que cet auteur d’exception, délaissant les étoiles, se penche désormais sur les moyens de sauver notre planète de la menace climatique, évidemment mortelle, à laquelle l’expose le mal qui la ravage, et qu’il désigne pour ce qu’il est : le capitalisme prédateur, destructeur de toute vie. Cela a notamment donné une trilogie dite du climat (3), si spectaculairement précise qu’elle devrait être regardée comme un parfait vademecum à l’usage de nos gouvernant·es – comme un guide de la dernière chance des mesures à prendre, de toute urgence, pour éviter le pire. Et cela donne aujourd’hui son dernier roman traduit en français, paru chez Bragelonne : New York 2140. Il s’agit d’abord d’une formidable fiction climatique, écologique et sociale – et en somme toute politique –, où le niveau des mers, élevé de plusieurs mètres, a noyé, au XXIIe siècle, l’essentiel des côtes terrestres, mais où la vie continue, réorganisée par cette nouvelle nécessité, sur les hauteurs de Manhattan.

Il s’agit aussi, et peut-être surtout, d’une magnifique et rageuse ode à New York, qui est toujours, en 2140, une « ridicule mégalopole obsédée par le fric » – en même temps que cette merveille éternelle où « les gens continuent à arriver, en dépit du fait que ce soit d’une stupidité suicidaire, et en tout état de cause un volontariat pour l’enfer », car : « Elle est là, elle remplit l’immense baie, peu importe ce que vous en pensez, ou croyez sur elle, elle crève la surface des eaux tel un long banc d’oursins empoisonnés auquel s’accrochent les rêveurs comme à un radeau aux piquants malcommodes, qui est leur seul refuge sur l’immense et venteux océan. » Splendide.

(1) Mars la rouge, Mars la verte, Mars la bleue, tous trois disponibles chez Pocket.

(2) Bragelonne, 2019.

(3) Les 40 signes de la pluie, 50° au-dessous de zéro, 60 jours et après, également chez Pocket.

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

Temps de lecture : 3 minutes
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