Mauvais concours de circonstances pour les futurs bacheliers

La première étape de Parcoursup s’est achevée le 8 avril. Mais la crise sanitaire conjuguée à la réforme du bac n’a fait que renforcer les inégalités d’orientation.

Malika Butzbach  • 14 avril 2021 abonné·es
Mauvais concours de circonstances pour les futurs bacheliers
© LILIAN CAZABET/AFP

Annulation de certaines épreuves du bac, remplacées par un contrôle continu, fermeture des établissements scolaires depuis le 6 avril… Les élèves de terminaleconnaissent une année bousculée avec le Covid-19. Mais un calendrier demeure, inamovible : celui de Parcoursup. Le 8 avril, les candidat·es devaient finir de remplir leur dossier et valider leurs vœux pour l’enseignement supérieur sur la plateforme, qui a connu quelques bugs du fait du grand nombre de connexions.

À l’anxiété liée à l’orientation post-bac vient s’ajouter l’angoisse de la crise sanitaire. « Il y a eu davantage de demandes de rendez-vous cette année, observe Lydia Stupar-Deyrem, membre de l’Association des psychologues et de psychologie dans l’Éducation nationale (Apsyen) et directrice du centre d’information et d’orientation (CIO) de Fécamp (Seine-Maritime). Nous avons notamment dû doubler les permanences de notre CIO le mercredi. » Et nombreux sont les jeunes qui ont revu leur projet initial en raison du contexte de crise, remarque Vanda, professeure principale en terminale dans un lycée de Seine-Saint-Denis : « Face aux discours médiatiques sur la souffrance des étudiants et la fermeture des universités, certains élèves ont opté pour des vœux plus “sécurisants”, comme les classes prépa ou les BTS, qui sont restés ouverts cette année. En temps normal, les licences ne sont déjà pas les vœux préférés, mais, cette année, c’est encore plus flagrant. »

Il y a aussi celles et ceux qui ont fait une croix sur l’envie de quitter leur ville d’origine, en particulier les jeunes des milieux ruraux, qui connaissent déjà une forme d’autocensure sur les questions de mobilité. À Fécamp, Lydia Stupar-Deyrem en a croisé beaucoup. « Que leur répondre lorsqu’ils me demandent “à quoi bon payer un appartement pour avoir des cours en visio” ? » D’autant que, après avoir vu ses parents sans travail ou au chômage partiel, la tentation de revoir son projet d’orientation est forte. « La plupart des jeunes le font d’eux-mêmes, sans forcément échanger avec leur famille. Ils ont conscience que partir étudier loin a un coût pour leurs proches. » Arnaud, qui vit près de Valenciennes (Nord), se serait bien vu continuer ses études à Lille. « J’avais envie de découvrir l’indépendance, la vie d’étudiant, tout ça. Mais là, avec mon père qui est au chômage et n’a pas trouvé de contrat depuis un an, c’est compliqué économiquement pour ma famille. Et sans job étudiant à cause de la crise, ça devient mission impossible. » Le jeune homme s’est rabattu sur son université de secteur, à Valenciennes, ce qui lui permet de rester vivre chez ses parents. « J’ai quand même formulé un vœu à Lille, au cas où… Mais je sais que les considérations financières restent plus importantes. »

« Algorithmes locaux »

Même après la formulation des vœux, l’angoisse demeure. Et pour cause : outre la crise sanitaire, les élèves de terminale générale actuels sont les premiers issus de la réforme du baccalauréat mise en place par Jean-Michel Blanquer il y a deux ans. Ainsi, ils ne sont plus dans les filières « traditionnelles » L, S et ES. À la place, ils ont dû choisir trois enseignements de spécialité en première, pour n’en retenir que deux en terminale, d’où l’appellation de lycée « à la carte ». Mais comment seront-ils classés par les formations qu’ils ont choisies sur Parcoursup lorsque les établissements qu’ils visent recevront leurs dossiers ? Et ce classement a son importance car, même si toutes les formations ne sont pas sélectives, comme les licences, les plus demandées ne peuvent accepter toutes les candidatures par manque de places. « Nous sommes dans le flou, explique Sylvie Amici, présidente de l’Apsyen, qui exerce à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Comment les spécialités seront prises en compte ? Comment les étudiants de cette génération seront accueillis dans l’enseignement supérieur ? »

Ce flou s’explique en grande partie par le fait que les critères de sélection des formations, parfois surnommés « algorithmes locaux » en raison de l’usage d’outils automatisés pour classer les dossiers, ne sont pas connus du grand public. Si, sur Parcoursup, certains apparaissent, ils sont le plus souvent vagues. « Mes élèves ont dû faire leur choix de spécialités à la fin de leur année de première, soit l’année dernière, en plein confinement. Mais ils ont découvert que telle ou telle spécialité était préférable dans les formations qui les intéressaient lorsqu’ils se sont connectés sur Parcoursup en décembre », plus de six mois après, raconte Vanda, la professeure principale.

Discrimination par les maths

« J’ai appris que, pour faire une licence d’économie, il était préférable d’avoir pris la spécialité mathématiques. Ce n’est pas mon cas. J’ai peur de ne pas être prise dans mes vœux », témoigne Mathilde, lycéenne à Nantes. La jeune fille, qui sait « depuis la seconde » qu’elle veut étudier l’économie, avait choisi, pour ses deux spécialités, sciences économiques et sociales (SES) et anglais. « Heureusement que mes parents m’ont obligée à prendre l’option “maths complémentaires”. C’est déjà ça dans mon dossier. » Et c’est peut-être là que se niche l’inégalité de cette réforme : les lycéens sont sommés, dès la fin de la seconde, de faire des choix qui auront leur importance au moment de l’orientation post-bac, sans savoir forcément ce qu’ils voudront faire comme études.

« Politiquement, cette réforme a été présentée comme permettant une plus grande liberté de choix pour ces jeunes. Mais on constate surtout que la disparition des séries entérine le fait que l’on laisse jouer les discriminations sociales sur l’orientation », souligne Claire Guéville, professeure et secrétaire nationale responsable du lycée au syndicat Snes-FSU. C’est notamment le cas sur le choix des mathématiques, qui apparaissent comme la discipline la plus discriminante dans l’accès aux formations supérieures.

Encore faut-il avoir les codes de ces formations, du processus d’orientation et de classement qu’implique Parcoursup. Selon une note de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (Depp) de novembre 2020 (1), alors que 39 % des élèves de terminale viennent de milieux très favorisés, « ces derniers sont surreprésentés dans trois duos de spécialités, alliant mathématiques à physique-chimie (52 %), histoire-géographie (55 %) ou SES (44 %) », souligne l’agence de presse spécialisée AEF info. « Les milieux favorisés ont valorisé cet enseignement de spécialité, dans une optique de stratégie pour l’orientation. En fait, cette notion de “liberté” dans la réforme est trompeuse pour ceux qui n’ont pas les codes », relève Claire Guéville. Pour Mathilde, ce n’est pas un hasard si ses parents, qui l’ont poussée à prendre l’option maths complémentaires, sont tous les deux diplômés du supérieur. En tant que mère, Lydia Stupar-Deyrem a tiqué lorsque, à la fin de la première, sa fille a abandonné la spécialité maths pour faire de la danse. « Je l’ai laissée faire car je pense sincèrement qu’il faut respecter les choix et les envies des lycéens. Mais j’ai un peu peur que cela porte préjudice à son dossier », reconnaît-elle.

L’angle mort de l’orientation

En l’absence de proches connaissant les codes de Parcoursup et de l’enseignement supérieur, les équipes pédagogiques et conseillers d’orientation accompagnent au mieux les lycéens. Mais, avec en moyenne un psychologue de l’Éducation nationale pour 1 500 élèves, l’orientation reste un angle mort des politiques éducatives. « Or tous ceux qui se sont penchés sur la plateforme Parcoursup ont pu constater le temps que cela prend de se renseigner sur les formations, de formuler des vœux, de remplir la page “centres d’intérêt”, d’écrire le fameux “projet de formation motivé” qui fait office de lettre de motivation… Rien qu’en termes de temps à allouer, cela creuse les inégalités entre les familles », remarque Sylvie Amici. De son côté, Vanda doit corriger jusqu’à dix projets pour chacun de ses 35 élèves. « C’est ma deuxième année “Parcoursup” en tant que professeure principale, et je n’ai aucune formation à l’orientation ou même pour la plateforme. Je me débrouille comme je peux, en demandant des conseils ici et là. Petit à petit, je me rends compte que je me substitue aux conseillers d’orientation. Mais il y a beaucoup de questions de mes élèves auxquelles je n’ai pas de réponse. »

Le contexte sanitaire a également rendu difficile la rencontre entre ces lycéens et l’enseignement supérieur : les salons et les journées portes ouvertes ont été annulés ou se sont déroulés à distance, en virtuel. Or, « pour être aidés dans leur choix d’orientation, les élèves ont besoin d’échanger avec des adultes informés et capables de les épauler. C’est ce que l’on pourrait appeler l’“orientation-contact” », constate Jules Donzelot, sociologue au centre Émile-Durkheim et directeur scientifique de l’association JobIRL. « À l’inverse, un élève se rendant sur une plateforme d’information comme l’Onisep bénéficie d’une forme d’aide digitale “sans contact”. La crise sanitaire a eu pour effet de diminuer l’orientation-contact au profit de l’orientation sans contact. » Là encore, au détriment des plus défavorisés.

(1) « À la rentrée 2020, les élèves de terminale précisent leur choix de parcours », Note d’information n° 20.38, novembre 2020, www.education.gouv.fr