Ce que l’on croit

Avec Que faut-il dire aux hommes ?, Didier Ruiz clôt un triptyque consacré aux invisibles. Il y met en scène avec délicatesse des femmes et des hommes de foi aux parcours et croyances divers.

Anaïs Heluin  • 26 mai 2021 abonné·es
Ce que l’on croit
© Emilia Stefani-Law

ue faut-il dire aux hommes ? Dans la pièce qui porte ce titre, Didier Ruiz ne pose pas vraiment la question. Il la transmet, il s’en fait le passeur comme il l’a fait auparavant de bien d’autres témoignages peu audibles par ailleurs. Ceux d’ex-détenus dans Une longue peine (2016), par exemple, et de personnes transgenres dans Trans (més enllà) (2019).

C’est à l’occasion de ce spectacle créé lors du dernier -Festival d’Avignon, dans le monde lointain de 2019, que s’impose à l’auteur l’idée de travailler avec des femmes et des hommes de foi. À l’issue d’une représentation, il a rencontré deux frères dominicains familiers du festival, Thierry et Charles, avec qui il a échangé sur les notions de genre, d’engagement et de liberté. C’est d’abord d’eux que vient l’interrogation de sa nouvelle création.

Pas plus que dans les deux pièces citées plus tôt, Didier Ruiz ne donne de point de vue sur le groupe de non-professionnels qu’il met ici en scène. Son procédé de la « parole accompagnée », qu’il utilise depuis une vingtaine d’années avec sa compagnie des Hommes, est au service de personnes tournées vers différentes formes de spiritualités. Elles sont sept : une pasteure protestante originaire du Kenya, un frère et père dominicains vivant dans un couvent parisien, un jeune Français bouddhiste, un avocat juif pratiquant à la retraite, un chamane clown, une religieuse devenue coach en entreprise et un plasticien musulman. Ils se livrent par bribes. Chacun avec ses forces et ses fragilités, ils disent ce qui les a menés vers leur dieu. Et surtout, vers une vie à l’écart des grandes courses de l’époque.

En un ballet précis d’allées et venues sur un plateau presque nu seulement percé de tiges qui ne cessent de monter, les interprètes expriment davantage leur rapport à la spiritualité qu’au religieux. Bien que cohabitent sur un même plateau les représentants de plusieurs religions, Que faut-il dire aux hommes n’est pas un spectacle sur le dialogue interconfessionnel. Et c’est tant mieux.

En donnant à ses interprètes la place d’exprimer leur rapport intime avec l’invisible, ce sont de nouveau des paroles marginales, singulières que donne à entendre Didier Ruiz. En cela, elles prennent très naturellement la suite des récits d’Une longue peine et de Trans (més enllà), pour former avec eux un passionnant triptyque consacré aux êtres en marge de notre société.

En laissant à ses comédiens la part d’improvisation, de liberté qu’il leur faut pour délivrer leur propre vérité, Didier Ruiz pose aussi avec cette pièce comme avec les précédentes la question du rapport entre le théâtre et le monde, entre la vie et sa représentation. Après plusieurs mois de mise à l’arrêt de la vie théâtrale, Que faut-il dire aux hommes ? est pour cela un spectacle idéal. Il vient interroger avec subtilité l’inscription du théâtre dans le présent, et peut-être indiquer en la matière des voies nouvelles. Des manières de faire théâtre à partir de la relation, et non d’un impératif de production.

Que faut-il dire aux hommes ?, Théâtre de la Bastille, Paris XIe, du 19 au 22 mai, www.theatre-bastille.com

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