« Nous allons vers une PAC de renoncements »

Le nouvel accord européen est truffé de compromis qui freinent la lutte contre le changement climatique, estime Mathieu Courgeau, du collectif Pour une autre PAC.

Vanina Delmas  • 30 juin 2021
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« Nous allons vers une PAC de renoncements »
Manifestation d’agriculteurs bio contre la PAC 2023-2027, le 2 juin 2021 à Paris.
© Bertrand GUAY/AFP

Vendredi 25 juin, la Commission européenne, les 27 États membres et le Parlement européen ont trouvé un accord concernant la politique agricole commune (PAC) pour la période 2023-2027, après trois années de négociations laborieuses. Avec un budget de 387 milliards d’euros, cette PAC a pour objectif de « verdir l’agriculture européenne », notamment grâce aux « éco-régimes », ces primes accordées aux agriculteurs qui adoptent des programmes environnementaux exigeants. Mais cet outil précieux pour la transition agroécologique a perdu de son ambition au fil des négociations : les États devront y consacrer en moyenne 25 % par an des paiements directs entre 2023 et 2027, avec la possibilité de n’y consacrer que 20 % les deux premières années en allouant ailleurs les fonds non dépensés. Un manque de radicalité, alors que l’Union européenne s’est engagée à réduire ses émissions de CO2 de 55 % d’ici à 2030… La colère des écologistes et des ONG environnementales ne redescend pas, notamment au sein du collectif français Pour une autre PAC, qui réunit 46 organisations venant du monde paysan, des consommateurs et des organisations de solidarité internationale, de protection de l’environnement et du bien-être animal : « Les systèmes agricoles ayant un impact négatif pour l’environnement pourront aisément passer à travers les mailles du filet de la conditionnalité environnementale, voire bénéficier d’une rémunération par l’écorégime. » Le président de ce collectif, Mathieu Courgeau, agriculteur en Vendée, nous explique pourquoi cette réforme vers une PAC plus écologique et plus juste n’aura pas lieu, alors qu’elle est vitale.

Comment résumer simplement le fonctionnement et l’utilité de la PAC ?

Mathieu Courgeau : La PAC fonctionne principalement avec des subventions liées à la -surface de la ferme : plus on a d’hectares, plus on a d’aides. Ce système favorise les vastes exploitations et incite à l’agrandissement. Il est important de rappeler qu’une large partie du monde agricole est devenue extrêmement dépendante des aides de la PAC en termes de revenus : aujourd’hui, même si ce n’est pas le cas pour toutes les productions, environ 80 % du revenu agricole en France émane des aides de la PAC. C’est aussi la conséquence de décisions politiques relatives à l’alignement des prix des produits agricoles sur les marchés mondiaux. Pour conserver une agriculture en Europe, il a été décidé d’attribuer des subventions aux agriculteurs, parce que sinon la grande majorité, non compétitive, aurait disparu !

Le budget de la PAC est composé d’un premier pilier qui totalise 70 % du budget et concerne essentiellement les aides directes. Le second pilier est un peu le parent pauvre, alors qu’il doit accompagner les territoires en difficulté et les agriculteurs qui s’installent ou se convertissent à l’agriculture biologique, et qu’il finance les aides liées aux mesures environnementales.

À chaque nouvelle négociation, est annoncée l’intention de « verdir la PAC ». Qu’en est-il ?

Le bio défavorisé

« La nouvelle PAC va nous laisser à poil », clament les agriculteurs et agricultrices bio depuis plusieurs semaines. Leur colère est telle qu’ils et elles ont décidé de la rendre visible en s’affichant nu·es sur les réseaux sociaux et lors de manifestations. La Fédération nationale d’agriculture biologique (Fnab) estime que les nouveaux arbitrages français, basés sur les écorégimes, feront baisser de 66 % les aides destinées à rémunérer les services environnementaux. Soit une perte moyenne de 132 euros par hectare et par an. Ils dénoncent aussi le fait que les exploitations certifiées haute valeur environnementale (HVE) seront mises au même niveau que celles certifiées bio, alors que ce label n’oblige pas à éliminer tout usage de pesticides ou d’engrais azotés.

Les résultats sur le terrain montrent que c’est loin d’être le cas. La Cour des comptes européenne vient de publier un rapport sévère (1) sur l’impact des mesures de la PAC 2014-2020 dans l’atténuation du changement climatique, alors qu’un tiers du budget était censé y être consacré. Les émissions de gaz à effet de serre provenant du secteur agricole n’ont pas beaucoup diminué, l’utilisation des pesticides et des engrais azotés augmente, les surfaces de prairies et de haies diminuent… Même si les agriculteurs font des efforts individuellement, les moyens ne sont pas suffisants pour accompagner l’évolution du monde agricole. Or la PAC continue d’encourager l’agrandissement des exploitations, la céréalisation, et donc la simplification des pratiques, ce qui laisse peu de place pour que d’autres modèles existent.

Peut-on espérer des changements structurels efficaces cette fois-ci ?

Au niveau européen, l’ambition pour entamer une réforme profonde n’est pas grande, mais il y a quand même l’idée de mieux prendre en compte la protection de l’environnement, le nombre d’actifs sur une exploitation, etc. Le changement principal cette année concerne la méthode : chaque État membre doit -élaborer un plan stratégique national (PSN) qui explique de quelle façon sera mise en place la PAC. Un vrai combat va s’engager au second semestre, car les PSN devront passer sous les fourches caudines de la Commission européenne, qui jugera s’ils respectent bien les objectifs fixés par l’UE.

Julien Denormandie a annoncé les arbitrages le 21 mai. Estimez-vous qu’il engage sérieusement la France vers la transition agroécologique ?

Le ministre de l’Agriculture a tout résumé en parlant d’une PAC de la « stabilité ». Nous estimons que nous allons plutôt vers une PAC de renoncements, car vouloir stabiliser la situation agricole française n’est pas une réponse à la hauteur des enjeux. Le monde agricole ne va pas très bien, que ce soit en termes de revenus, de renouvellement des générations, de prise en compte des enjeux environnementaux, du bien-être animal… On comprend qu’il faille y aller progressivement pour certains agriculteurs, mais il manque un vrai signal, un accompagnement des politiques publiques pour embarquer tout le monde dans le bon chemin à l’horizon 2027. Nos demandes n’ont pas été entendues, notamment pour le soutien aux fermes moyennes ou aux « oublié·es de la PAC » que sont les petites fermes en maraîchage, arboriculture ou viticulture.

Pour accompagner efficacement les transitions environnementales, nous voulons un transfert important du premier au second pilier afin de financer davantage les mesures agroenvironnementales et climatiques. Les agriculteurs s’engagent sur cinq ans à faire évoluer leurs pratiques, à diminuer les pesticides et les engrais azotés, en contrepartie d’une compensation financière. Ces mesures méritent d’être encouragées sur tout le territoire.

Les paysans en agriculture biologique manifestent depuis plusieurs semaines, notamment en se mettant nus (lire encadré). Pourquoi sont-ils en colère ?

Sur l’agriculture biologique, il y a un vrai recul ! Certes, le ministre a annoncé que le budget pour les aides à la conversion augmenterait de 250 millions à 340 millions d’euros par an, mais celui pour l’aide au maintien est ridicule ! Les agriculteurs bio depuis plus de cinq ans ne peuvent plus toucher les aides à la conversion. Jusqu’en 2018, ils avaient une aide à la reconnaissance des services environnementaux fournis par l’agriculture biologique, mais elle sera supprimée. Le gouvernement se justifie en disant que c’est le marché qui doit faire la différence de prix pour les bio, et pas les aides. Or cet argument-là devrait être vrai pour tous les agriculteurs !

Les alertes de la communauté scientifique, des écologistes et même d’experts des Nations unies se multiplient et demandent une révision de la PAC avec comme priorité l’urgence environnementale. Alors, d’où viennent ces blocages ?

Le ministre français se justifie en déclarant qu’il y a une problématique de revenus en agriculture. Les aides représentant 80 % du revenu, voire 100 % ou 200 % dans certaines productions, toute baisse ou modification des critères d’attribution des aides aura une conséquence directe sur le revenu agricole. Je pense que cette raison de fond est plutôt bonne. Mais la vraie question est : qui est aux manettes ? Qui n’a pas résolu le problème du revenu agricole ? De plus, la loi Egalim 2 est censée régler la question de la répartition entre les producteurs. Donc pourquoi le ministre prend-il cette excuse-là ? Sur le plan européen, il y a eu un certain nombre d’accords de libre-échange signés par ce gouvernement, et on en connaît les répercussions directes sur le revenu des agriculteurs ! On ne peut pas dire qu’on ne peut rien bouger parce qu’on n’a pas réglé le problème du revenu des producteurs et en même temps ne rien faire pour le régler. À un moment donné, il faut que chacun prenne ses responsabilités. Et le ministre en premier. Mais il a surtout voulu ne faire aucune vague pour ne pas mécontenter la frange dure de la FNSEA à dix mois de l’élection présidentielle.

Aujourd’hui, est-il possible de s’en sortir sans toucher la PAC en France ?

C’est très rare. Les maraîchers, arboriculteurs et viticulteurs qui existent sans aides de la PAC peuvent s’en sortir… Mais dans les exploitations d’élevage, aussi vertueuses en bio et circuits courts qu’elles soient, tout le monde a des aides de la PAC, plus ou moins importantes en fonction de la surface, de la dimension de la ferme… C’est un filet de sécurité financier important sur lequel on peut compter chaque année, quels que soient la météo, les aléas sanitaires, les variations de prix… C’est pourquoi nous nous battons pour que cela devienne une politique agricole et alimentaire commune.

Comment le collectif Pour une autre PAC peut-il tenir le rapport de force ?

À chaque réforme de la PAC depuis une vingtaine d’années, des coalitions de la sorte s’organisent en France et ailleurs en Europe. Mais je crois que c’est la première fois qu’on atteint un tel niveau de positionnement collectif, et nous travaillons encore à affiner notre projet commun. Pour cela, nous faisons évidemment du plaidoyer auprès du gouvernement, des différents ministères, des députés et des sénateurs, des régions. Puis nous misons beaucoup sur la vulgarisation de ce sujet très technique pour qu’il soit mieux compris des médias, des citoyens, avec des vidéos, des youtubeurs influents ou bien nos propres enquêtes sur le système de la PAC.

Dans une première étude, nous avons démontré que les 9 milliards d’euros de la PAC en France profitaient in fine surtout aux agro-industriels comme le groupe Bigard, Savéol ou Agrial. Et en mai dernier, la journaliste Caroline Trouillet s’est interrogée sur les critères d’attribution des aides et s’est penchée sur sept grands bénéficiaires de la PAC qui ne sont pas des agriculteurs (2). Par exemple, le domaine de Mivoisin, dans le Loiret, a touché 400 000 euros d’aides en deux ans grâce à ses 1 700 hectares de grandes cultures. Or il appartient à la famille Primat, milliardaire et installée en Suisse. C’est légal et possible car le système dépend du nombre d’hectares d’une exploitation et aucun plafonnement des aides n’existe en France ! Maintenant que l’accord semble trouvé, nous allons continuer à nous mobiliser pour faire prendre conscience à la Commission européenne de la nécessité d’être très exigeante avec les États membres lorsqu’ils présenteront leurs plans d’action.

(1) « Les dépenses que l’UE lui consacre n’ont pas rendu l’agriculture plus respectueuse du climat », 21 juin 2021, www.eca.europa.eu

(2) « La Politique agricole commune. Ses chèques aux mieux dotés, ses œillères sociales et environnementales », 19 mai 2021.

Mathieu Courgeau Agriculteur, président du collectif Pour une autre PAC.

Écologie
Temps de lecture : 9 minutes
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