Ce que l’avenir nous réserve, ou pas

La « fracture vaccinale » partage la France en deux tiers, un tiers. Ce dernier tiers recouvrant des opinions bien différentes, entre « antivax » irascibles – une faible minorité – et pro-vaccins inquiets des limitations des libertés individuelles. Ceux-là n’aiment pas le voleur, mais ils aiment encore moins le gendarme.

Denis Sieffert  • 21 juillet 2021
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Ce que l’avenir nous réserve, ou pas
© Jacopo Landi / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

La politique est imprévisible. C’est son charme cruel. Et c’est le drame des sondages que l’on prend trop souvent pour des pronostics que la réalité s’empresse de démentir. Nul ne sait quel « costard de Fillon » ou quels « diamants de Bokassa » viendront rendre un peu d’humanité crasseuse aux algorithmes et perturber le duel cent fois programmé entre Macron et Le Pen. Nous voilà trop bien placés à Politis, depuis ce maudit 19 juillet (voir encadré), pour savoir que l’impensable n’est pas l’impossible. Mais remettons-nous à la tâche. Car ce que l’on peut imaginer en revanche, ce sont les grands sujets qui occuperont l’espace public pendant les prochains mois. Avec encore une réserve, au moins pour la forme. Il semble entendu ici que la présidentielle, le dernier grand rendez-vous sacré des électeurs français, sera bien l’événement dominant des prochains mois. Par hypothèse, n’excluons pas le cataclysme planétaire qui ramènerait l’élection au rang d’anecdote. Au hasard : une tragédie climatique, une offensive de la Chine sur Taïwan, une nouvelle pandémie incontrôlable… Mais revenons au probable. En ce milieu d’été, c’est ce qu’on appelle « la fracture vaccinale » qui occupe les esprits. Une fracture qui ne traverse pas notre société en son milieu, mais partage la France en deux tiers, un tiers. Ce dernier tiers de mécontents de la contrainte que Macron veut imposer aux Français, recouvrant lui-même des opinions bien différentes, entre « antivax » irascibles – une faible minorité – et pro-vaccins inquiets du précédent que peut créer ce nouvel entassement de lois limitant les libertés individuelles. Ceux-là n’aiment pas le voleur, mais ils aiment encore moins le gendarme.

Le sordide s’invite à Politis

Tandis que j’écrivais cet édito, le dernier avant la rentrée fixée au 26 août, j’apprenais avec horreur que notre journal aurait servi d’alibi à des agissements qui inspirent le dégoût. Je pense d’abord à ces migrants victimes d’une arnaque à laquelle le nom de Politis a été frauduleusement mêlé. Je pense aux équipes toujours moralement irréprochables, que j’ai eu l’honneur de diriger pendant plus de deux décennies, et qui ont sacrifié à leur engagement sans faille pour la justice sociale et la défense des plus faibles. Il va sans dire que je m’associe au texte des salariés, qui porte haut cet héritage, sous la présidence de Pouria Amirshahi. L’avenir leur appartient.

Beaucoup de démagogues d’extrême droite, Philippot et Dupont-Aignan en tête, sont à la récupération. Le premier parle de mesures « nazitaires ». Ce jeu de mots calamiteux, qui vient d’un avatar du Front national, vise une clientèle qui a perdu de vue l’histoire. Pour preuve, ces étoiles jaunes arborées par des manifestants. Quelle indécence ! Les autres, venus pour la plupart de La France insoumise, opèrent ce que les psys appelleraient un « transfert de mécontentement ». C’est toute la colère accumulée contre le Président des riches qui trouve à s’exprimer. Pas sûr toutefois que le risque d’un voisinage avec des Philippot, surtout quand on a évité le piège d’une manif avec les syndicats de police, vaille d’être couru. L’anti-macronisme ne suffit pas à faire une doctrine. Mais on devine le calcul : si le vaccin ne remporte pas la partie, l’affaire pourrait devenir un catalyseur, façon « gilets jaunes ». À propos du fameux « pass sanitaire », si le principe paraît peu discutable, sa mise en œuvre risque d’être en effet redoutable en ce qu’elle fait obligation à des responsables de salles de spectacle ou patrons de bistrot de faire la police. Dangereux ! Mais pour le pouvoir, le vrai danger, c’est l’amalgame avec d’autres sujets de conflit qui, eux, ne souffrent d’aucune ambiguïté.

Chronologiquement, la réforme de l’assurance chômage, qui doit s’appliquer dès le 1er octobre, contient les ingrédients les plus détestables du libéralisme économique. En frappant les chômeurs à leur maigre portefeuille, elle dit tout d’un incorrigible mépris social. Apparemment, la réforme des retraites sera repoussée au-delà de l’échéance électorale. Mais on en sait déjà assez pour relancer une mobilisation. On peut aussi imaginer que la question identitaire, façon extrême droite, immigration et islam, ressurgira tôt ou tard. Depuis plusieurs années déjà, la Macronie a trouvé à maquiller son suivisme idéologique sous le masque de la laïcité. La dissolution récente de l’irréprochable Observatoire de la laïcité et l’entrée en fonction d’un « comité interministériel » aux mains de la droite gouvernementale, confirment que l’arme islamophobe est dans son fourreau, toute prête à servir. La question est de savoir, au gré des circonstances – fait divers ou acte terroriste – quelle place ce mauvais débat occupera.

Enfin, je termine peut-être par l’essentiel : la transition écologique qui est aussi, impérativement, une transition sociale. Le « paquet climat européen » visant à atteindre l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55 % à l’horizon 2030 est tout juste une bonne déclaration d’intention. Cette fois, les avions et les cargos ne sont plus oubliés. Trop peu et trop lent, protestent cependant plusieurs ONG. Mais il y a surtout cette proposition de création d’un second marché carbone pour le transport routier et le chauffage des logements à partir de 2026. Des « droits à polluer » pour les fournisseurs de carburant que les petites entreprises et les ménages modestes vont devoir payer en bout de course. Voilà bien les limites de la transition écologique sous l’égide du libéralisme. Et voilà ce qui rend indissociable l’écologique et le social. Mais ce sujet, qui devrait surplomber tous les autres, occupera-t-il vraiment nos débats ? Il met en cause tout un système, et exige un repartage social. Ou bien n’apparaîtra-t-il qu’au moment des catastrophes, comme récemment en Allemagne et en Belgique. J’y pense et puis j’oublie…

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

Temps de lecture : 5 minutes
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