Les défrisés de la derbouka

Les « drapeaux étrangers », les « danses » et les « tam-tams »  lors des mariages, une intolérable manifestation « des communautaristes » selon certains politiques.

Nadia Sweeny  • 7 juillet 2021
Partager :
Les défrisés de la derbouka
© Catherine Leblanc / Photononstop / Photononstop via AFP

Comme à chaque fois, c’est toujours la colère qui s’exprime en premier. On s’insurge, on s’indigne. On refuse d’être ainsi montré du doigt, assigné à rester l’intrus. Celui qui gêne. Celui qui reste différent. L’emmerdeur. Le bruyant. L’odorant. Le coloré. Celui qui a l’outrecuidance de brandir lors des mariages « des drapeaux étrangers ou de manifester par des danses, des spectacles, les traditions qui sont les leurs », se plaignait la députée Annie Génevard (Les Républicains), en séance de débat sur la loi « séparatisme », ce 1er juillet. Elle y défendait un amendement visant à interdire lesdits drapeaux dans les mairies. Tout ceci résumé en une intolérable manifestation « des communautaristes ». Nous voilà donc de nouveaux confronté·es au bannissement de la différence. L’exprimer « insupporte les gens. Ils y voient quelque chose qui serait un pied de nez à ce que le président de la République appelle l’art d’être français… », renchérit l’élue. Il y a quinze jours, j’ai moi-même lancé un youyou en tapant des mains et agitant mon popotin, à l’occasion d’un mariage mixte à la très chic mairie de Boulogne-Billancourt : ai-je – à mon insu, je le jure ! – insulté « l’art d’être français » ? Pourquoi l’expression de ma joie offenserait-elle quelqu’un ?

Certes, le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, a mouché la députée : « Quand je vois des gens danser, ça me rend heureux. » Mais le mal est fait. Le débat empoisonne les ondes, comme à chaque fois.

« Le problème, c’est l’Afrique du Nord »et « les débordements liés à certains mariages de personnes issues du Maghreb, a craché Gilles Platret, édile LR de Chalon-sur-Saône, sur CNews. Il justifiait ainsi son arrêté municipal de novembre 2018 interdisant les emblèmes étrangers, les chants et les danses à l’intérieur de son hôtel de ville, fier de son talibanisme nationaliste. Objectif : lutter contre « un envahissement de personnes qui ne respectent rien, qui arrivent avec des étendards étrangers, qui chantent avec des connotations plus ou moins religieuses – alors qu’il ne comprend pas un mot d’arabe, évidemment ! – ils ne viennent pas avec la sono : c’est bien pire, ils viennent avec les tam-tams et la musique ! » Tremblez, braves gens : nous et nos derboukas sommes aux portes de vos mairies !

Nous, les joueurs et joueuses de musiques primitives. Vous, la majorité civilisée. Nous, les barbares. Vous, qui ne voulez pas de nous. Nous, les condamné·es à l’errance éternelle. Vous, nos bourreaux. Comment ne pas finir, à force de tels débats, par l’intégrer réellement : nous ne sommes pas vraiment français·es, et pour ces gens-là, nous ne le serons jamais.
Qui fait ainsi le jeu du séparatisme ?

Publié dans
Parti pris

L’actualité vous fait parfois enrager ? Nous aussi. Ce parti pris de la rédaction délaisse la neutralité journalistique pour le vitriol. Et parfois pour l’éloge et l’espoir. C’est juste plus rare.

Temps de lecture : 2 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Procès de Bolsonaro : au-delà d’un test démocratique pour le Brésil
Monde 2 septembre 2025

Procès de Bolsonaro : au-delà d’un test démocratique pour le Brésil

L’ancien président d’extrême droite entre en jugement ce mardi 2 septembre, accusé de tentative de coup d’État en 2023. Un enjeu crucial pour les institutions du pays, alors que Trump pourrait alourdir les sanctions qu’il a prises contre le Brésil, accusé de mener une « chasse aux sorcières ».
Par Patrick Piro
Une couverture noire pour briser le silence
Parti pris 31 août 2025

Une couverture noire pour briser le silence

Face à l’hécatombe de journalistes à Gaza et au silence qui l’entoure, des dizaines de rédactions à travers le monde – de Mediapart à Al Jazeera en passant par The Independent et Politis – s’unissent pour alerter : le droit d’informer est attaqué. En publiant une couverture noire, Politis et les partenaires de l’initiative engagée par Reporters sans frontières (RSF) et Avaaz, rappellent que protéger la presse c’est défendre la vérité et la mémoire collective.
Par Pierre Jacquemain
Le crépuscule de Jupiter ou l’impasse présidentielle
Emmanuel Macron 29 août 2025

Le crépuscule de Jupiter ou l’impasse présidentielle

À bout de souffle, Emmanuel Macron se retrouve isolé, sans majorité et contesté à la fois dans la rue et sur la scène internationale. Entre menace de pleins pouvoirs et incapacité à ouvrir une issue politique, la présidence vacille, révélant l’impasse d’une Ve République en crise.
Par Pierre Jacquemain
Gaza : l’effacement planifié d’un peuple
Parti pris 27 août 2025

Gaza : l’effacement planifié d’un peuple

Depuis l’offensive terrestre déclenchée au lendemain de l’attaque menée par le Hamas le 7 octobre 2023, Israël a lentement mais méthodiquement broyé le territoire palestinien.
Par Pierre Jacquemain