Vie et mort des Mapuches

La venue en France de Trewa, État-nation ou le spectre de la trahison de Paula González Seguel, est un événement autant politique que théâtral.

Anaïs Heluin  • 10 novembre 2021 abonné·es
Vie et mort des Mapuches
© Danilo Espinoza Guerra

Sens interdits a de la suite dans les gestes et dans les idées. Il y a quelques semaines (lire Politis, no 1676), nous parlions de l’ouverture chilienne de la 7e édition de ce festival très international, tourné vers les théâtres qui résistent, notamment en préservant des mémoires menacées et des récits étouffés. Après des virées du côté du Liban, du Kosovo, de la Russie ou encore de la Grèce, les derniers jours de l’événement qui se tient dans plusieurs lieux lyonnais nous ont ramenés au Chili avec Trewa, État-nation ou le spectre de la trahison, de Paula González Seguel.

Trewa, État-nation ou le spectre de la trahison, 12 novembre, L’Estive, Foix (09), 05 61 05 05 55, www.lestive.com Également le 16 novembre au Théâtre Michel-Portal à Bayonne (64) et le 19 novembre au Théâtre Molière, Sète (34).
Bien connue des habitués de Sens interdits, où son directeur, Patrick Penot, l’invitait dès 2011 avec sa première création Ñi Pu Tremen, l’autrice, metteuse en scène et actrice fait, elle aussi, preuve avec cette nouvelle pièce d’une belle persévérance. Comme dans toutes ses créations depuis la fondation de sa compagnie KIMVN Teatro, elle y porte la lutte de la communauté mapuche au Chili pour sa reconnaissance sociale et politique.

C’est non pas à Lyon que nous découvrons Trewa, mais à Vitry-sur-Seine au Théâtre Jean-Vilar, l’un des fidèles partenaires de Sens interdits, grâce auxquels Patrick Penot réussit à organiser des tournées pour certains des spectacles les plus coûteux à faire venir en France. Celui de Paula González Seguel en fait partie : avec ses vingt et un comédiens et musiciens mapuches de générations différentes – de 6 à 80 ans –, Trewa représente pour les structures un poids qu’il est bon de répartir. La pièce en vaut la peine. À partir d’une tragédie réelle, la mort dans des circonstances suspectes de la militante environnementale mapuche Yudith Macarena Valdés Muñoz en 2016, ce sont les souffrances et les combats de tout un peuple que partage la grande famille de théâtre rassemblée sur le plateau. Elle le fait en conjuguant la force du rituel à celle du documentaire.

Trewa commence après la mort, mais aussi avec elle. Car, dans cette pièce comme dans la culture mapuche, l’esprit des défunts continue d’évoluer auprès des vivants. Surtout lorsque les circonstances de leur disparition ne sont pas claires, ce qui est le cas de Yudith Macarena Valdés Muñoz. C’est ainsi à elle que s’adresse muettement l’enfant qui ouvre la pièce et ne dira pas un mot de toute sa durée. C’est pour elle que son mari, le reste de sa famille et ses amis, incarnés par les artistes du KIMVN Teatro, se réunissent et entament un double travail de deuil et de mémoire. Notamment à travers l’exercice d’un rituel dont nous n’avons guère besoin de connaître les codes pour en saisir les enjeux : il s’agit pour la petite communauté de demander aungen mapu(esprit mapuche propriétaire et protecteur de la terre) l’autorisation d’exhumer le corps de la militante, de le déterrer pour faire éclore la vérité.

Presque dansé, ce temps d’adresse à l’au-delà s’inscrit dans la représentation d’un quotidien où des discussions politiques côtoient toutes sortes de trivialités, et un silence qui participe à la puissance du spectacle. À ce moment-là, la fusion entre le réel largement exploré par Paula González Seguel et la part de fiction qui lui permet de rendre partageables l’histoire et le présent des siens atteint une grâce qui infuse l’ensemble de la pièce.

Théâtre
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