La gauche face à #Metoo

Le devoir d’entendre la parole des femmes sur les violences sexuelles et sexistes soulève parfois des questions éthiques qui n’ont pour l’instant pas trouvé de réponses.

Antonin Amado  • 5 juillet 2022
Partager :
La gauche face à #Metoo
© Arthur Nicholas Orchard / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Embarrassée et démunie. C’est ainsi qu’apparaît la gauche face à la libération de la parole des femmes en politique. Le mouvement Metoo, nous nous en félicitons chaque semaine dans ces pages, ne cesse de prendre de l’ampleur. Force est pourtant de constater que l’affaire Éric Coquerel met au jour nos lacunes collectives en la matière. Depuis plusieurs mois, la parole des femmes est crue davantage. Un phénomène qui se propage enfin à la sphère militante après des décennies d’omerta. Le travail de terrain des associations féministes – validé par d’innombrables témoignages attestant la réalité de la domination, des agressions et des crimes – y est évidemment pour beaucoup. Mais cette confiance, qui précède une éventuelle procédure judiciaire, soulève des questions éthiques qui n’ont pour l’instant pas trouvé de réponses satisfaisantes face à l’ampleur du problème. Dans le cas du nouveau président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, une militante l’accuse de l’avoir lourdement draguée en 2014, évoquant son « regard gluant » et plusieurs gestes déplacés. Elle a finalement porté plainte pour agression sexuelle après avoir initialement déclaré que les faits n’étaient pas judiciarisables mais également subi une très violente campagne de harcèlement en ligne.

Quelle attitude adopter vis-à-vis d’un homme, fût-il authentiquement de gauche, qui se défend farouchement de ces accusations tout en reconnaissant dans une tribune parue dans Le Journal du dimanche ne pas être « immunisé » contre les « rapports de domination masculine » qui l’ont « conditionné ». Cette prise de conscience ne peut évidemment pas servir d’excuses et contribuer à faire passer une agression sexuelle par pertes et profits. Mais elle ne doit pas compter pour rien s’il s’agit d’une attitude « beauf » qui ne peut plus avoir cours désormais. En l’état actuel des faits, faut-il écarter Éric Coquerel de ses fonctions ? Ce serait s’engager tant juridiquement, que politiquement et éthiquement sur une pente dangereuse. Mais peut-on faire comme si la parole de cette femme, attestée par plusieurs témoins, n’était jamais parvenue jusqu’à nous ? Pas davantage. L’auteur de ces lignes, blanc, en situation de pouvoir et âgé de 43 ans, est incapable de trancher la question. Reste qu’il n’existe pas de sanctions intermédiaires. Le tout ou rien actuel en la matière nous empêche de penser la réalité quotidienne des rapports de domination. Et de les transformer. La militante féministe et membre de l’Union populaire Caroline de Haas souligne quant à elle que la transparence des formations politiques sur ces affaires doit être la règle. Et invite les partis à rompre avec les pratiques du passé. Elle rappelle enfin que « la lutte contre les violences sexistes et sexuelles est une bataille qui ne s’arrête jamais ».

Publié dans
Parti pris

L’actualité vous fait parfois enrager ? Nous aussi. Ce parti pris de la rédaction délaisse la neutralité journalistique pour le vitriol. Et parfois pour l’éloge et l’espoir. C’est juste plus rare.

Temps de lecture : 2 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Procès AFO et terrorisme d’extrême droite : l’assourdissant silence des politiques
Parti pris 3 juillet 2025

Procès AFO et terrorisme d’extrême droite : l’assourdissant silence des politiques

Après trois semaines d’audience, le procès du groupe d’extrême droite AFO s’est achevé le 2 juillet. Les 16 prévenus ont dû s’expliquer sur les projets d’attentats islamophobes pour lesquels ils étaient poursuivis. Une affaire gravissime sans exposition médiatique ni indignation politique.
Par Pauline Migevant
Les gauches, (toujours) condamnées à s’entendre
Parti pris 2 juillet 2025

Les gauches, (toujours) condamnées à s’entendre

Il y a aujourd’hui deux gauches qui cohabitent plus qu’elles ne se côtoient.La question n’est pas de les opposer à l’infini, mais de savoir comment elles peuvent faire front commun sans renier ce qui les distingue.
Par Pierre Jacquemain
Le bayrouisme est un lepénisme
François Bayrou 1 juillet 2025

Le bayrouisme est un lepénisme

Sous couvert de sagesse, François Bayrou orchestre une stratégie d’immobilisme utile – pour lui. En coulisses, un pacte tacite avec le Rassemblement national se dessine. Plus qu’un blocage politique : un système de survie mutuelle où chacun gagne du temps, sauf le pays.
Par Pierre Jacquemain
L’info publique, bientôt privée ?
Parti pris 30 juin 2025

L’info publique, bientôt privée ?

Avec la création d’une « holding » rassemblant les médias audiovisuels publics, avec à sa tête un « super patron », la réforme de Rachida Dati s’attaque à l’indépendance du service public de l’information et de la création, à l’heure d’une concentration accrue des médias, des ingérences étrangères et des fake news.
Par Pierre Jacquemain