Un autre regard sur l’islamisme

François Burgat et Matthieu Rey publient une somme qui replace l’islam politique dans son histoire et sa complexité.

Denis Sieffert  • 20 juillet 2022 abonné·es
Un autre regard sur l’islamisme
Des frères musulmans manifestent, le 13 novembre 2005 devant l’université Al-Azhar, au Caire, contre des élections législatives truquées.
© AFP

L’ouvrage peut impressionner par son volume et son approche délibérément scientifique. Mais cette Histoire des mobilisations islamistes, travail collectif dirigé par deux des meilleurs spécialistes, François Burgat et Matthieu Rey, est en réalité un livre de référence aux multiples entrées qui peuvent être sollicitées par époque ou aire géographique, au gré de l’actualité. Il propose une profondeur de champ qui, d’emblée, conteste la fable d’un islamisme surgi du néant dans les années 1970. On parle ici d’islamisme et non d’islam, c’est-à-dire d’une catégorie politique dont Henry Laurens aperçoit les « frémissements » au XVIIIe siècle quand apparaît un « contre-discours » construit dans le contact avec la modernité occidentale. Laurens parle d’islamisation des révoltes, plutôt que de révoltes qui auraient un caractère islamiste endogène. La nuance évitera beaucoup de contresens. L’autre grand préjugé qui est battu en brèche est celui d’un discours monolithique et enfermé sur lui-même. C’est tout le contraire. Les auteurs analysent les interactions avec les sociétés occidentales. Pour le meilleur et, souvent, pour le pire, quand il s’agit de résistance aux colonialismes.

C’est à un renversement de nos logiques occidentales que nous convient les auteurs. Le lecteur doit par exemple admettre que la laïcité n’est pas pour tout le monde cette belle philosophie qui fait notre fierté nationale, mais qu’elle est aussi l’arme culturelle de la colonisation. Face aux agressions militaires et surtout culturelles, l’islam est devenu un « lexique mobilisateur ». Comme Burgat et Rey le précisent, ce n’est donc pas le dogme islamique qui est analysé dans leur ouvrage, mais « l’utilisation en politique des ressources mobilisatrices de la culture et de la religion musulmanes ». Ils nous mettent également en garde contre une approche univoque. Il n’y a pas « un » islamisme, mais « une plasticité infinie du “parler” ou du référentiel musulman », et une « multitude de comportements politiques ». On n’est pas islamiste de la même manière en Palestine ou lorsqu’on est confronté à l’exercice du pouvoir parlementaire, comme les Frères musulmans en Égypte ou en Tunisie.

Forts de ce socle méthodologique, les auteurs explorent tous les espaces islamistes, dont certains très souvent négligés par l’« islamologie » médiatique parce que non arabes, comme l’Indonésie et le Pakistan. Ou, plus ignoré encore, le vaste califat de Sokoto. Un État islamique qui comptait au début du XIXe siècle 10 millions d’habitants dans l’Afrique subsaharienne, et qui est aujourd’hui, nous dit Vincent Hiribarren, « une organisation politique de référence pour nombre de jihâdistes en Afrique de l’Ouest ». L’islamisme est aussi une mémoire. Le lecteur trouvera de quoi comprendre les conflits actuels, jusqu’à Al-Qaida et l’organisation État islamique, vecteurs monstrueux de transformation de la violence politique postmoderne.

Histoire des mobilisations islamistes (XIXe-XXIe siècle) François Burgat et Matthieu Rey (dir.), CNRS éditions, 448 pages, 26 euros.

Idées
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