À Saint-Denis, une marche par et pour « les femmes des quartiers »

Soutenu par plus de 70 collectifs et associations signataires, l’évènement, joyeux et puissant, a rassemblé ce samedi 15 octobre plusieurs centaines de personnes à travers les rues de la « capitale du féminisme populaire ».

Hugo Boursier  • 16 octobre 2022
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À Saint-Denis, une marche par et pour « les femmes des quartiers »
© Une manifestante, lors de la marche du 15 octobre à Saint-Denis. (Photo : Fiora Garenzi / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP.)

« Maintenant, c’est notre lutte. » La voix de Hanane Ameqrane, militante lesbienne et antiraciste de Saint-Denis, où elle est documentaliste, résonne sur tout le parvis de la basilique dionysienne, ce samedi 15 octobre. Devant elle, la foule applaudit, claque des doigts en signe de soutien, et s’apprête à gagner l’étroite rue de la République.

Les pancartes demandant justice pour Yanis, décédé après avoir été pris en chasse par la police, avoisinent des affiches de solidarité envers les Afghanes et les Iraniennes, derrière des banderoles antiracistes, en soutien avec les communautés LGBTQIA+ ou avec les victimes de violences sexistes et sexuelles.

Organisée pour montrer que « les quartiers populaires ne sont pas des déserts féministes », la marche était centrée sur un appel à engager « une riposte féministe antiraciste à la hauteur des enjeux ». Le texte, signé par plus de 70 collectifs et associations, parmi lesquelles des collectifs de familles de victimes de violences policières, la Pride des banlieues, Décolonisons le féminisme, l’association Lallab engagée pour les droits des femmes musulmanes, dénonce « l’impunité des hommes violents », « la culture du viol dans les milieux militants », mais aussi « la vision raciste du féminisme d’État » et les LGBTphobies.

Il rappelle aussi la « récupération » faite par « le PS et son mouvement Ni putes ni soumises », créé à la suite de la mort de Sohane Benziane, à Vitry, le 2 octobre 2002, tuée par son ex-compagnon. « Cette récupération d’État a ciblé les hommes des banlieues comme des barbares sexistes. Ce mouvement a voulu faire de la France et de sa République, le seul outil de libération possible des femmes des quartiers populaires », note le texte.

© Politis
Une manifestante, à Saint-Denis, samedi 15 octobre. (Photo : Fiora Garenzi / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP)

Derrière cette critique se dégage la perspective de créer des mouvements autonomes, centrés sur les réalités et les revendications des personnes racisées des quartiers populaires. Sous le regard amusé d’habitants accoudés à leur balcon, Sonya, aux yeux constellés par des piercing colorés, constate cette dichotomie entre les préoccupations de mouvements féministes mainstream et la manière dont ils peuvent fonctionner en interne. « Je suis musulmane et maghrébine et, souvent, je ne me sens pas à l’aise dans leurs événements. Je ne me sens pas vraiment écoutée », pointe-t-elle.

Faite entendre d’autres voix que celles du « féminisme blanc ».

« On nous invisibilise tout en nous demandant de lutter et de participer à des actions. Ici, je me sens libre ! », sourit-elle, tandis que la batucada reprend le rythme à tambour battant. À côté d’elle, son ami Mateo regrette que « le féminisme mainstream soit libéral et donc capitaliste ». Pour lui, ce « féminisme est qualifié de bourgeois parce que seules les femmes blanches peuvent en tirer des bénéfices ».

On en a marre du féminisme star-system, on veut voir les femmes du quotidien, celles qu’on ne voit pas.

Pour éviter toute récupération ou présence non-voulue, la marche a été minutieusement divisée en plusieurs cortèges, certains en mixité et d’autres non, afin de respecter les volontés de chacune. Alors que le défilé poursuit sa traversée de la ville, Hanane Ameqrane rappelle que les personnes qui tiennent la banderole du cortège de tête ont souhaité être en non-mixité et demande aux personnes blanches de reculer un peu plus loin. Le but : laisser aux femmes racisées et les militant·es LGBQIA+ des quartiers populaires l’opportunité de faire vivre un mouvement qui est le leur.

« Nous sommes là et nous n’avons pas besoin de représentantes. Il existe d’autres voix que le féminisme blanc, qui utilise nos combats pour mieux les blanchir », lance l’une des trois militantes de Décolonisons le féminisme, alors que les premiers groupes reviennent au parvis de la basilique pour clôturer l’événement.

« On en a marre du féminisme star-system, on veut voir les femmes du quotidien, celles qu’on ne voit pas », poursuit-elle, sous les applaudissements des cortèges qui rattrapent les premières arrivées. La marche a su faire porter leur voix, à Saint-Denis, cette « capitale du féminisme populaire », comme aime le rappeler Hanane Ameqrane.

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