« Butterfly Vision » de Maksym Nakonechnyi : viol de guerre

Le cinéaste ukrainien montre combien il est difficile de continuer à vivre pour une femme soldate qui a été faite prisonnière par les Russes.

Christophe Kantcheff  • 11 octobre 2022 abonné·es
« Butterfly Vision » de Maksym Nakonechnyi : viol de guerre
© Photo : Nour Films.

Il est évident que nous sommes plus attentifs au cinéma ukrainien, et à tous les champs artistiques de ce pays, depuis le début de l’invasion russe.

Butterfly Vision, Maksym Nakonechnyi, 1 h 47.

Butterfly Vision, présenté dans la section Un certain regard au dernier Festival de Cannes, premier long-métrage de Maksym Nakonechnyi, est particulièrement ancré dans l’actualité.

Il met en scène Lilia (impressionnante Rita Burkovska), une jeune femme engagée dans l’armée, spécialiste de la reconnaissance aérienne par drone, qui retourne auprès de sa famille après plusieurs mois de captivité dans le Donbass.

© Politis

La joie des retrouvailles est de courte durée, car Lilia porte en elle le fruit d’une horrible violence, arme de guerre que l’on sait ancienne : le viol. Un viol commis par ses geôliers russes, accompagné de tortures, ayant pour conséquence le fait que Lilia est désormais enceinte. Maksym Nakonechnyi explique qu’il a été amené à « réfléchir à ce qui attend une femme soldat lorsqu’elle est capturée par l’ennemi, et en quoi cela pouvait être pire que la mort ».

Souvenirs pixellisés

La manière dont le cinéaste traite le trauma est une première bonne surprise, parce qu’elle s’écarte des effets habituels. Ce sont de très brèves séquences de réminiscence, où des bribes de souvenirs de captivité transpercent l’esprit de la jeune femme.

Elles apparaissent en partie pixellisées, comme si un appareil de reconnaissance était touché par une arme ennemie. D’autres sont de nature onirique : Leila rêve, ou cauchemarde, voyant des cratères d’obus en pleine ville. Maksym Nakonechnyi a fait le pari qu’il n’était pas nécessaire d’en rajouter.

D’autant que Lilia ne doit pas seulement faire face à ce terrible choix, avorter ou pas, et aux réactions violentes de son petit ami, Tokha (Lyubomyr Valivots), devant cette situation. La voie de sa reconstruction passe par des terrains hostiles. C’est là la seconde surprise de ce film, loin d’être anodine.

La société ukrainienne que donne à voir le cinéaste est moins univoque que celle qui nous apparaît.

En effet, la société ukrainienne que donne à voir le cinéaste est moins univoque que celle qui nous apparaît (avant tout dans les médias). Une scène, par exemple, relativise sérieusement la solidarité des Ukrainiens avec celles et ceux qui se battent sur le front (rappelons toutefois que nous sommes là avant février 2022).

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Lilia est montée dans le bus d’une compagnie privée. Alors que son statut de combattante la dispense de payer son trajet, les autres passagères, à l’exception d’une seule, s’offusquent et crient à l’injustice. Lilia n’a comme issue, pour garder sa dignité, que de descendre du véhicule.

Frustrations et haines

Butterfly vision témoigne aussi des frustrations et des haines qui secouent le tissu social. Tokha, membre d’un groupe para-militaire, annonce à Leila que la prochaine révolution ne sera pas pacifique. Pour l’heure, il s’adonne avec ses camarades à des actions punitives envers les Roms. En détruisant leurs abris dans un bois, ils commettent un meurtre. Crime du racisme ordinaire dans un univers ultra-militarisé (Tokha dispose d’une panoplie d’armes impressionnante).

Maksym Nakonechnyi a choisi les couleurs de la guerre – le kaki, le vert sombre… – comme teintes dominantes de son film. Comme si la guerre du Donbass contaminait tout le pays, s’y était propagée avec ses conséquences délétères, mortifères.

Butterfly Vision ouvre des horizons et des registres de complexité permettant de mieux comprendre un pays dont nous nous sentons, à juste titre, solidaires depuis le 24 février. Ne serait-ce que pour cela, il est éminemment précieux.

Cinéma
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