Vers un effondrement de l’Europe ?

La crise économique que nous traversons est structurelle, accélérée par la guerre en Ukraine. Continuer à utiliser des outils conjoncturels pour la traiter est une impasse.

Jérôme Gleizes  • 24 octobre 2022
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Vers un effondrement de l’Europe ?
© Photo : JULIEN DE ROSA / AFP.

Les crises écologiques s’amplifient, mais sans doute l’effondrement économique arrivera en premier. La guerre en Ukraine est un facteur accélérateur de cette crise. Le confinement lié à la pandémie de covid-19 a montré la dépendance de l’Europe par rapport à sa consommation de biens importés ou par rapport à ses chaînes de production, bloquées à cause de pièces produites en Asie.

Le choix de la désindustrialisation, notamment en France, dans les années 1990, se révèle aujourd’hui être une catastrophe économique. La balance commerciale européenne est devenue déficitaire depuis mai 2021, d’un montant record de 57 milliards d’euros au mois d’août. La relocalisation de la production est une nécessité mais, compte tenu de la destruction tant du capital industriel que des compétences professionnelles, cela va prendre du temps.

La guerre en Ukraine a montré notre dépendance énergétique. Il faut distinguer ses dimensions monétaire et physique. La hausse du coût de l’énergie appauvrit les ménages, mais elle met aussi en difficulté les entreprises européennes, notamment allemandes. De nombreuses entreprises ont dû fermer à cause de la hausse de leurs coûts de production.

Le risque à venir est une rupture physique de l’approvisionnement énergétique.

Les prix de l’énergie ont parfois augmenté de 600 % en un an, ce qui représente entre 15 et 20 % du coût d’exploitation. La sidérurgie est très atteinte, ce qui provoque des crises dans tous les secteurs qui doivent importer de l’acier aujourd’hui. Le plan allemand de relance de 200 milliards d’euros va limiter l’impact de la crise, mais le risque à venir est une rupture physique de l’approvisionnement énergétique.

L’attaque contre le gazoduc Nord Stream a été une première alerte. La conjonction de la fermeture des gazoducs avec la faible production nucléaire française, qui oblige la France à importer de l’électricité allemande produite par des centrales thermiques au gaz, pourrait provoquer un crash énergétique européen majeur, voire un black-out, vu l’interconnexion des réseaux électriques.

La politique économique européenne reste très faible et manque de coordination.

Face à cela, la politique économique européenne reste très faible et manque de coordination. Le plan isolé de l’Allemagne a été critiqué par de nombreux pays. L’inflation en Europe continue à augmenter pour atteindre un niveau de 10 % en septembre avec des écarts très importants, de la France (6,2 %) à l’Estonie (24,1 %), du fait essentiellement d’une gestion de la question énergétique très divergente, avec une internalisation de la hausse du prix dans le déficit budgétaire.

La Banque centrale européenne reste toujours sur un objectif d’inflation à 2 % et augmente ses taux d’intérêt, mais à une vitesse moindre que l’inflation. Résultat, jamais le taux d’intérêt réel n’a été aussi négatif, avec – 8 %.

La crise actuelle n’est pas conjoncturelle mais structurelle. Continuer à utiliser des outils conjoncturels comme les taux d’intérêt, augmenter les déficits publics en prenant à sa charge la hausse de l’inflation ou les baisses d’activité des entreprises, sont une impasse. Remplacer du gaz russe par du gaz de schiste américain, relancer le nucléaire alors que l’EPR est un véritable tonneau des Danaïdes en sont d’autres. L’effondrement européen est loin d’être stoppé.

Jérôme Gleizes est enseignant à l’université Sorbonne-Paris-Nord.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

Temps de lecture : 3 minutes
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