Ariane Ascaride : « Je veux faire entendre la modernité de Brecht »

En compagnie du compositeur et accordéoniste David Venitucci, Ariane Ascaride interprète Du bonheur de donner, à partir de poèmes de Bertolt Brecht. Alliant des thèmes étonnamment actuels et une riche palette d’émotions, ce spectacle magnifique ressemble de près à la comédienne. Rencontre.

Christophe Kantcheff  • 25 janvier 2023 abonné·es
Ariane Ascaride : « Je veux faire entendre la modernité de Brecht »
© Y. Poey

Il ne faut parfois pas grand-chose pour inventer un monde : deux chaises, deux pupitres, un accordéon et des lumières. Ariane Ascaride aux textes et David Venitucci à la musique créent, pendant un peu plus d’une heure, un univers unique, cohérent, étonnamment contemporain, à partir de poèmes de Bertolt Brecht.

La guerre, la misère, la condition des femmes, le sort des exilés, le poids de la morale… Tout résonne avec notre présent menaçant. Mais les deux artistes ne transforment pas Brecht en prêcheur ou en contempteur : ils en font un ami dont ils restituent la parole avec le plus de nuances, de sensations et de richesses esthétiques.

David Venitucci, auteur de la musique, sort de son accordéon des sons inouïs, fabriquant des ambiances quasi cinématographiques. Ariane Ascaride exprime tous les sentiments de la terre. Son visage est un palimpseste d’émotions. Et quand elle se met à chanter – ce qu’elle fait avec une maîtrise impressionnante –, sa voix semble pouvoir pénétrer les cœurs les plus endurcis. Le duo, complice, est à l’unisson, le musicien et l’actrice se portant l’un l’autre. Et tient ­amplement la promesse du titre : Du bonheur de donner.

Nous avons souhaité rencontrer Ariane Ascaride car il nous a semblé que ce spectacle lui ressemblait au plus près. Son actualité ne s’arrête pas là : la comédienne prête aussi sa voix à un formidable film d’animation qui sort en salle cette semaine, Interdit aux chiens et aux Italiens, d’Alain Ughetto. Last but not least, elle fait partie des signataires de notre « Appel contre la retraite à 64 ans ». L’occasion de l’interroger aussi sur cette question.

De quand date votre première rencontre avec Bertolt Brecht ?

Mon père faisait du théâtre amateur, après-guerre, à Marseille, avec la Compagnie des 4 Vents, dirigée par des gens proches du PCF. Ils ont joué du Brecht. Bien que je sois alors toute petite, ce nom a dû s’imprimer dans mon cerveau. Et puis, quand j’avais 13 ans, ma mère m’a emmenée écouter une chanteuse, Pia Colombo, qui interprétait du Brecht. Elle a chanté, entre autres, l’air de Jenny dans Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny, « Comme on fait son lit on se couche ». Et je ne sais pourquoi, instinctivement, j’ai compris cette chanson, ce qu’elle disait : l’idée que, dans le monde où j’étais, si on voulait s’en sortir, il fallait se secouer.

Pour quelles raisons avoir dédié ce spectacle à Marcel Bluwal (1) ?

La même année, à 13 ans, j’ai vu à la télévision un homme de culture très particulier, avec un accent du Paris populaire, dont je comprenais aussi tout ce qu’il disait : c’était Marcel Bluwal. Il m’a tellement impressionnée que je me suis dit qu’un jour je rencontrerais cet homme. C’est parce qu’il était professeur au Conservatoire national supérieur d’art dramatique, à Paris, que j’ai voulu y entrer. Et c’est lui qui m’a permis un jour de jouer Brecht.

La première fois que j’ai assisté à l’un de ses cours, il faisait travailler une scène du Cercle de craie caucasien à deux élèves, où le personnage féminin lave du linge dans une rivière. Bluwal est intervenu pour dire que le geste de l’élève ne convenait pas et a demandé parmi les filles présentes : qui veut essayer ? J’ai levé la main – je savais laver. Il a dit : voilà, ça, c’est un geste juste ! Vous ne pouvez imaginer la fierté que j’ai ressentie…

En deuxième année, dans sa classe, Marcel Bluwal nous dit un jour que, si nous ne sommes pas mauvais, nous ferons Le Petit Mahagonny en « journée de sortie ». À l’époque, je ne savais pas ce

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Spectacle vivant
Temps de lecture : 11 minutes