« La joie comme arme de résistance féministe »

Porte-parole d’Attac France et cofondatrice du mouvement Les Rosies, Youlie Yamamoto raconte les coulisses de ce rassemblement féministe devenu icône des mobilisations.

Politis  • 1 mars 2023
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« La joie comme arme de résistance féministe »
Les Rosies, lors de la clôture du meeting Politis sur les femmes et la réforme des retraites, à Paris, le 15 février 2023.
© Michel Soudais

En 2019, vous avez sans doute entendu parler de nous pour la première fois : nous, Les Rosies. C’est en reprenant un air bien connu que nous nous sommes imposées dans des centaines de cortèges, partout en France. Dans notre clip « À cause de Macron », nous dénoncions une réforme des retraites dont les femmes allaient être les grandes perdantes.

En 2023, une autre réforme des retraites – toujours plus injuste et sexiste – est défendue par le gouvernement. Et Les Rosies sont de retour avec toujours plus de chants, de chorégraphies, de costumes et de confettis. Et de la bonne humeur !

À l’origine, il y a le groupe « action » d’Attac. L’objectif était de rendre visible l’impact genré et sexiste de la réforme des retraites. Ainsi sont nées Les Rosies. Sur le fond, les paroles de nos tubes dénoncent les conséquences délétères de la réforme des retraites sur les femmes.

Sur le même sujet : « Cette réforme instrumentalise la cause des femmes »

Sur la forme, l’identité visuelle des Rosies assume et endosse les revendications féministes liées au travail : le costume produit un effet « uniforme » visible en bloc dans les manifestations. Le bleu de la combinaison symbolise le travail ; le fichu rouge renvoie à Rosie la riveteuse, l’icône populaire qui symbolise un imaginaire féministe combatif ; enfin, les gants jaunes représentent le travail domestique, la charge mentale et la prise en charge des enfants. Les chorégraphies sont conçues dans un esprit « flashmob », faciles et virales.

Les Rosies révèlent toute la force des femmes qui cumulent en silence les doubles journées et les métiers pénibles

Pensées comme un outil pour le mouvement social, Les Rosies produisent pour chaque tube un kit de mobilisation en accès libre. Leurs cortèges sont fédérateurs, où la joie et la fantaisie sont utilisées comme moteur et liant pour donner envie de manifester et procurer ainsi l’espoir d’un horizon victorieux.

Les Rosies visent aussi à rendre visibles celles qui subissent le plus sévèrement la réforme. Celles qui exercent des métiers précaires, notamment ceux du lien et du soin, des métiers pénibles, dévalorisés, mal payés, mais surtout invisibles. Le covid l’a particulièrement montré, et nous l’avions dénoncé dans notre chanson « Premières de corvée ». Elles exercent les métiers les plus utiles mais les moins valorisés et qui donnent des retraites misérables. Les Rosies mettent en scène cette réalité – et la rendent visible.

Dans notre société patriarcale, il est parfois difficile pour les femmes de prendre la parole. Alors, quand les mots ne peuvent pas ou ne suffisent pas pour se faire entendre, c’est le corps qui s’exprime. Les Rosies sont un collectif de réappropriation du pouvoir et de l’espace public. Elles sont un symbole de force et de combativité. De reprise en main de leurs destins pour ne pas laisser le sort d’une réforme s’abattre sur elles.

Bien loin des stéréotypes des « femmes faibles », Les Rosies révèlent toute la force des femmes qui cumulent en silence les doubles journées et les métiers pénibles. Au-delà du seul enjeu de l’égalité salariale et des retraites, Les Rosies veulent s’imposer dans le débat public pour rappeler leur poids et leur apport dans la société.

Youlie Yamamoto, lors du meeting féministe Politis, le 15 février 2023, à Paris. (Photo : Michel Soudais.)

Face à la répression dans les manifestations – dont Les Rosies ont d’ailleurs été victimes –, nos cortèges joyeux et animés procurent un sentiment de sécurité. Ils permettent de conjurer le mauvais sort, de désarmer la crainte et la peur de la répression et de garder la motivation intacte.

En faisant le pari de miser sur l’angle féministe, la recette des Rosies semble fonctionner. Le mouvement social a su se l’approprier et l’utiliser comme un levier pour affaiblir la réforme. La fébrilité du gouvernement est plus que palpable.

La question du sort des femmes dans cette réforme est le talon d’Achille du pouvoir.

En témoignent les réactions contre l’action que nous avons menée devant l’Assemblée nationale le mardi 7 février. Neuf d’entre nous ont été placé·es en garde à vue pour avoir écrit « 60 ans » à la craie et dansé « Nous, on veut vivre ! ». C’est un signal inquiétant d’arrêter des femmes qui veulaient défendre leurs droits et revendiquer l’égalité.

Mais c’est aussi la preuve qu’on appuie là où ça fait mal et que la question du sort des femmes dans cette réforme est le talon d’Achille du pouvoir. Nous ne nous laisserons pas intimider. La joie que procurent les cortèges des Rosies est une force sur laquelle le mouvement peut s’appuyer pour continuer de mobiliser sous toutes les formes possibles, avec fierté et détermination, jusqu’au retrait. Girl power !

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