Les yeux de l’histoire
Un livre et un film permettent de mieux voir les images d’archives des camps nazis et de se départir des représentations déformées ou erronées de la Shoah. Deux œuvres essentielles.
dans l’hebdo N° 1749 Acheter ce numéro

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Ce que l’on croit voir n’est pas ce que l’on voit. Ce précepte, synonyme de principe de précaution, devrait conduire toute approche de documents iconographiques ou audiovisuels. En particulier quand ils concernent la destruction des juifs d’Europe.
Telle est la leçon centrale que rappelle de manière imparable le très impressionnant livre que publient trois historiens, les Allemands Stefan Hördler et Christoph Kreutzmüller, et le Français Tal Bruttmann, intitulé Un album d’Auschwitz. Comment les nazis ont photographié leurs crimes. Au même moment sort cette semaine sur les écrans le nouveau film de Christophe Cognet, À pas aveugles, portant sur les rares photos clandestines prises par des déportés dans des camps de concentration ou d’extermination, au péril de leur vie.
Rapprocher ces deux œuvres, c’est considérer deux points de vue antagoniques, d’une part celui des bourreaux tout-puissants et, de l’autre, celui des victimes. Constituant un champ-contrechamp tragiquement inégalitaire, ces deux œuvres, totalement indépendantes l’une de l’autre, se situent « sur cette arête vive où l’on ne choisit plus entre transmettre un savoir et partager une émotion », comme l’écrit Patrick Boucheron dans le dossier de presse d’À pas aveugles.
« Partager une émotion » n’est pas dans les objectifs énoncés par les historiens Bruttmann, Hördler et Kreutzmüller. Mais il n’est pas non plus dans leur intention de l’exclure – ce serait impossible. Leur ouvrage donne à voir ce qui a été appelé « l’album de Lili Jacob », du nom de la déportée qui l’a trouvé.
Celui-ci comporte 197 photos prises par des SS entre les mois de mai et août 1944, pour la plupart sur la « rampe » d’Auschwitz-Birkenau où ont alors été transportés dans les pires conditions des centaines de milliers de juives et de juifs hongrois soumis dès leur arrivée à une « sélection » décidant de leur sort immédiat. Ou bien les chambres à gaz ; ou bien, pour une petite partie d’entre elles, l’esclavage en camp de travail. Photos exceptionnellement autorisées, car il faut rappeler que les nazis avaient interdit toute prise de vue dans les centres de mise à mort.
Scruter ces photographies, représentant des enfants, des femmes et des hommes de tous âges, ignorant tout de ce qui va leur arriver au terme d’un voyage éreintant, suscite immanquablement l’émotion. Mais la qualité de cette émotion dépend du niveau d’information que l’on détient sur ces archives.
Mise en scèneC’est pourquoi les auteurs en donnent une lecture critique et scientifique. Tâche éminemment nécessaire, d’autant que les clichés de « l’album de Lili Jacob » ont été déjà vus
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