Procès de militants d’extrême droite : bafouer les procédures, c’est piétiner l’État de droit

La semaine dernière, des militants néonazis ont vu leur procès annulé, à cause d’une procédure illégale. Et c’est tant mieux : l’égalité de tous devant la loi est non négociable dans un État de droit.

Nadia Sweeny  • 15 septembre 2023
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Procès de militants d’extrême droite : bafouer les procédures, c’est piétiner l’État de droit
Des manifestants d'extrême droite brandissent un drapeau du GUD (Groupe Union Défense), le 26 mai 2013 à Paris, en marge des manifestations contre une loi sur le mariage pour tous.
© THOMAS SAMSON / AFP

Vendredi 8 septembre dernier, sept militants néonazis devaient être jugés pour « participation à groupement en vue de commettre des violences » contre les supporters du Maroc à l’occasion de la demi-finale de la coupe du monde, en décembre 2022. Un projet de ratonnade organisé par des hommes racistes, pour la plupart fichés S, militants d’extrême droite connus. Or, la 14e chambre correctionnelle de Paris a annulé tous les actes de procédure. Les mis en cause n’ont pas été jugés et sont ressortis libres. Cette bévue judiciaire a empêché un débat sur le fond, sur la violence raciste qui se déploie dans notre pays de manière inédite. À qui la faute ? Le parquet de Paris a avalisé une procédure policière bancale. Des interpellations irrégulières, des scellés inexistants, une transmission incomplète du dossier aux avocats de la défense. Au regard de ces éléments, le tribunal correctionnel ne pouvait qu’annuler ce procès et relâcher ces militants néonazis. Pire : il est rassurant qu’il l’ait fait.

Sur le même sujet : Quand le procès de militants d’extrême droite vire au fiasco

La vie de personnes se joue dans les tribunaux. Bafouer les procédures, c’est piétiner l’État de droit. Car la procédure pénale n’est pas un empilement de procès-verbaux, une complexité administrative créée pour « emmerder » les policiers. C’est l’une des garanties de l’application de l’égalité de tous les citoyens devant la loi. Quelle que soit sa couleur de peau, la provision de son compte en banque, sa religion, ses idées politiques ou les faits reprochés : la procédure doit s’appliquer à tous de la même manière. Certes, celle-ci peut être perfectionnée voire simplifiée à quelques endroits, mais « d’une main tremblante » comme l’écrivait Montesquieu (1). Ni elle, ni son esprit ne doivent être instrumentalisés ou mis au service d’un « camp » car leur essence s’évaporerait et l’ensemble de notre République s’étiolerait. Ce serait alors une nouvelle victoire de l’extrême droite. Elle qui veut choisir sur des critères raciaux, ethniques, culturels et idéologiques qui est digne d’avoir des droits. Elle qui fait de la différenciation entre les humains un projet politique. Face à ce dessein, opposons l’égalité sans concession, même pour les militants néonazis. Il en va de la survie de notre République.

1

De l’esprit des lois, 1748.

Alors certes, la justice n’est pas parfaite. On a donné à une administration le nom d’une valeur. Elle a nécessairement ses limites, ses biais, ses atermoiements et ses dévoiements. Et les méthodes d’application de certaines lois produisent parfois d’intolérables injustices. Trop de consignes ministérielles exigent des « réponses pénales fermes, rapides et systématiques » (2) pour certains événements et si peu pour d’autres. On s’attaque brutalement aux mouvements massifs de contestations sans écouter le message politique tout en délaissant la corruption et l’évasion fiscale, enjeux démocratiques majeurs. Le parquet national financier n’est-il pas systématiquement attaqué dès qu’il met en cause des puissants ? Ceux qui réclament moins de répression pour les grands mais toujours plus pour les petits. Dans cette perspective, tant de procédures sont tordues et de droits bafoués pour coller à des attentes politiques ou médiatiques.

2

Extrait de la circulaire d’Éric Dupond-Moretti envoyée aux parquets, à l’occasion des émeutes dans les banlieues.

Les parquets, qui étouffent dans leur dépendance si totale à leur ministère de tutelle, sont parfois sommés de « couper des têtes » au prix d’un passement de jambes insupportable avec les droits des personnes mises en cause. Or s’il est un combat contre l’extrême droite et ses « valeurs » qui doit être mené, s’il est une digue qui doit tenir au risque, si elle saute, de nous emporter tous, c’est celle de l’État de droit. Dans cette bataille, aucun policier, aucun procureur, aucun magistrat ne doit déroger à l’exigence de la procédure s’il veut contribuer à pérenniser et à renforcer l’idéal républicain français de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. Accrochons-nous à cet idéal comme une bernique à son rocher ou alors, nous coulerons tous.

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