« Le Repaire des contraires », le théâtre dans les cités

Dans ce documentaire, Léa Rinaldi montre comment une metteuse en scène anime à Chanteloup-les-Vignes, ville déshéritée de la banlieue parisienne, un projet culturel avec les enfants. Une action qui a 25 ans mais qui reste précaire.

Christophe Kantcheff  • 30 octobre 2023
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« Le Repaire des contraires », le théâtre dans les cités
Avec sa compagnie, Neusa Thomasi anime depuis 25 ans des ateliers de cirque et de théâtre pour les enfants de Chanteloup-les-Vignes, l’une des plus pauvres d’Île-de-France.
© Aléa Films.

Il en faut beaucoup pour faire peur à Neusa Thomasi, metteuse en scène d’origine brésilienne qui a élu domicile à Chanteloup-les-Vignes (Yvelines). Toutefois, elle craint le feu pour son chapiteau, comme on le constate dès les premières images du documentaire de Léa Rinaldi, Le Repaire des contraires, tourné sur cinq ans à partir de 2017.

Le Repaire des contraires / Léa Rinaldi / 1 h 20.

Avec sa Compagnie des contraires – « les contraires produisent de la vie », dit-elle – Neusa Thomasi anime depuis 25 ans des ateliers de cirque et de théâtre pour les enfants de la ville, l’une des plus pauvres d’Île-de-France. En 1995, Matthieu Kassovitz y a tourné La Haine, qui reste dans les mémoires. Accessoirement, c’est la cité qu’a choisie Élisabeth Borne pour annoncer le 26 octobre ses mesures destinés aux quartiers populaires : pas sûr que ce soit aussi mémorable.

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Léa Rinaldi montre le travail qu’effectue Neusa Thomasi avec les enfants. Il faut de la patience, car beaucoup rencontrent des problèmes familiaux, sociaux ou psychologiques. La metteuse en scène n’en manque pas. Elle sait parler aux enfants, les prenant au sérieux tout en ne se départissant jamais d’un certain esprit de légèreté. Elle les guide dans leur apprentissage et les fait progresser. Leur travail débouche sur des représentations colorées, exigeantes, joyeuses. La cinéaste s’intéresse plus particulièrement à quelques enfants, dont Joachim.

L’être humain manque de passion. Ou quand il en a, il n’arrive pas à les réaliser.

Neusa Thomasi

Joachim, apprend-on par sa mère, rencontrait d’énormes problèmes à l’école au point qu’il était question de le mettre en hôpital. Or, à l’écran, ce garçon apparaît d’une grande maturité, épris de théâtre, et entretient une relation de confiance avec la metteuse en scène. « C’est un privilège de vivre de sa passion, dit Neusa. L’être humain manque de passion. Ou quand il en a, il n’arrive pas à les réaliser. Alors on devient fou. Notre société est une machine à créer des fous ».

Nuit de destruction

Neusa fait partie du « paysage humain » de la ville, lui a-t-on dit un jour. Une appréciation qui la touche, elle qui souligne qu’elle a commencé sans papiers. Cette femme de théâtre est incontestablement une figure, qui a choisi de vivre parmi la population avec laquelle elle travaille chaque jour : la cinéaste la filme, le matin, à la fenêtre de son appartement, situé dans une des cités donnant sur son chapiteau.

Pour autant, elle confesse qu’elle ne se sent pas en pleine sécurité, même si les problèmes des débuts se sont amenuisés : Neusa recevait des menaces de mort et la compagnie ne pouvait jouer que sous surveillance policière. « Je me sens en danger. J’appréhende qu’un fou entre ici avec une arme et nous attaque. Nous sommes un lieu culturel, laïc. Des artistes viennent du monde entier. Les femmes font du cirque, des grands écarts, elles sont libres avec leurs justaucorps et leurs décolletés. Je ne sais pas jusqu’où cela interpelle de façon négative certaines personnes. » Elle cite les rixes entre bandes, la mainmise du trafic de drogues. Les incendies de voitures sont réguliers – la cinéaste montre quelques épaves. La camionnette de la compagnie en a fait les frais précédemment.

La fin du film semble confirmer ce que Neusa ressent. La municipalité a décidé d’institutionnaliser le travail de la compagnie en construisant un chapiteau « en dur ». Une représentation réussie sacre cette reconnaissance. Mais survient une nuit de destruction. Le chapiteau a été incendié, tout est parti en fumée. Neusa Thomasi accuse le coup. Les enfants sont tristes mais disent comprendre si elle choisit de partir. Elle sait, quant à elle, qu’elle va continuer. Ici ou peut-être ailleurs.

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Cinéma
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