Les plus précaires, toujours les plus isolés en France

C’est ce qui ressort de la nouvelle étude de la Fondation de France sur « les solitudes en France », selon laquelle la qualité des rapports sociaux est étroitement liée au niveau de vie et à la zone d’habitation.

Luna Guttierez  • 25 janvier 2024
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Les plus précaires, toujours les plus isolés en France
© Dimitry B / Unsplash

La Fondation de France (FDF) a publié ce 24 janvier son dernier rapport sur « les solitudes en France » (1). Il en ressort tout d’abord qu’en 2023, si le taux de personnes isolées en France reste stable (12 %), la solitude, elle, est plus difficile à vivre que l’année précédente. Un tiers des personnes qui se disent « régulièrement seules » souffriraient de cette situation, une proportion en hausse de 7 points par rapport à 2022.

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L’intégralité du rapport est à retrouver ici en PDF.

Les plus précaires sont toujours plus exposés à l’isolement que le reste de la population. Avec une personne seule sur cinq, les personnes au chômage représentent la classe sociale la plus touchée par l’isolement. Les ouvriers le sont aussi : 18 % d’entre eux ressentent ce mal-être, c’est 5 points de plus que l’année dernière. En un an, leur situation s’est fortement dégradée. En regardant la part des personnes isolées en fonction de leurs revenus, le constat est frappant. Sur six années répertoriées, les « bas revenus » sont les plus touchés par l’isolement : 14 % d’entre eux sont seuls. Les personnes au chômage sont deux fois plus concernées par l’isolement relationnel que le reste de la population.

Évolution de la part des personnes isolées selon le niveau de revenus. (Source : Crédoc, enquêtes Conditions de vie et aspirations, de janvier 2020 à janvier 2023, champ : personnes âgées de 15 ans et plus.)

Chez les plus précaires, l’inflation aggrave cette tendance. La baisse du pouvoir d’achat occasionnée par la crise économique a des conséquences délétères sur les sociabilités. 70 % des personnes interrogées déclarent avoir réduit leurs activités extérieures à cause de l’inflation.

Les lieux de vie influencent les relations sociales

« Le rapport des individus à l’espace et aux territoires constitue une dimension fondamentale pour comprendre l’isolement », selon le rapport. La localisation géographique de leur lieu de vie influence grandement leurs relations sociales. Les « campagnes en déclin » et les quartiers prioritaires sont les zones les plus touchées par l’isolement.

Les géographies propres à l’isolement se calquent sensiblement sur celles de la précarité, voire de la grande pauvreté.

Dans les milieux ruraux, l’érosion du tissu relationnel est liée au manque de services du quotidien et de transports. Dans les grandes villes, la FDF constate une forte polarisation entre effervescence (chez les personnes les plus aisées) et dégradation (chez les personnes les plus fragiles) des relations sociales. Les quartiers prioritaires, où le taux de pauvreté est trois fois plus élevé que la moyenne métropolitaine, sont des zones de vulnérabilité sociale. Près de deux tiers (63 %) des personnes en situation de pauvreté vivent en ville et dans les quartiers défavorisés. Le rapport affirme que « les géographies propres à l’isolement se calquent sensiblement sur celles de la précarité, voire de la grande pauvreté ».

S’approprier un lieu pour lutter contre la solitude

L’étude démontre que les plus isolés privilégient les espaces gratuits et ouverts, facilement accessibles et où la légitimité d’être présent en ces lieux n’est pas entravée. Les parcs et les associations comptent parmi les endroits où les relations sociales semblent plus faciles à engager. D’après la FDF, penser ces espaces comme lieux d’actions et d’événements apparaît essentiel pour réduire l’isolement. « Le changement des imaginaires et la création d’infrastructures dans les espaces publics vont renforcer le lien social. »

Avec l’accompagnement des acteurs de terrain, la FDF propose d’impliquer les personnes dans l’organisation, l’entretien ou l’embellissement d’un lieu. La reprise des liens sociaux se fait par l’appropriation d’un espace : « C’est en ‘faisant’ que les liens se créent, précise le document. Les personnes isolées passent du simple rôle d’usager à celui de personne participant à l’existence même du lieu. La personne devient donc une ressource pour le lieu et pour les autres, ce qui participe à revaloriser l’estime qu’elle a d’elle-même. »

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