L’extrême droite, un projet européen ?

En Allemagne, le parti d’extrême droite AfD a échoué à emporter un scrutin local au premier tour, rattrapé par le scandale du projet de « remigration ». Un soulagement à relativiser tant l’extrême droite progresse quasiment partout en Europe.

Patrick Piro  • 31 janvier 2024
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L’extrême droite, un projet européen ?
Un manifestant brandit une pancarte montrant le leader de l'AfD de Thuringe, Bjoern Hoecke, faisant le salut nazi et disant « Plus jamais ça », devant la porte de Brandebourg, à Berlin, le 14 janvier 2024.
© Adam BERRY / AFP

Une défaite de l’AfD, vraiment ? C’est l’avis de plusieurs commentaires pour décrire l’échec du parti d’extrême droite à conquérir une présidence du canton, lors d’un scrutin local du Land de Thuringe, dans l’est de l’Allemagne. À deux doigts de l’emporter au premier tour, le candidat de l’AfD (Alternative pour l’Allemagne) a finalement fait du surplace dimanche dernier, ne recueillant « que » 47,6 % des voix face à son adversaire soutenu sans faille par le reste de la classe politique.

Pactiser avec les architectes d’une « remigration » saboterait la conquête de respectabilité de Marine Le Pen.

Ce coup d’arrêt tient à la réaction citoyenne suscitée par la bombe lâchée début janvier par Correctiv. Ce média d’investigation révélait que des membres de l’AfD, dont des cadres, se sont réunis fin novembre dans un hôtel de Postdam pour échanger avec des idéologues identitaires radicaux autour d’un projet de « remigration » : la déportation en Afrique du Nord de centaines de milliers d’étrangers, de demandeurs d’asile et de citoyens considérés comme « non assimilés ».

Bien sûr, il faut applaudir une mobilisation salutaire qui a mis quelque 1,4 million de personnes dans la rue pour dénoncer ce qu’il faut bien appeler un retour de l’idéologie nazie en plein cœur de la démocratie allemande. Pourtant, cet impensable projet n’a suscité, au niveau national, qu’un léger tassement de l’AfD, qui resterait la deuxième force politique du pays avec 21,5 % d’intentions de vote en vue des élections européennes de juin.

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L’AfD, qui a fait un semblant de ménage interne à la suite de ce déballage, peut toujours espérer élire une vingtaine d’eurodéputé·es, doublant son butin de 2019. Et ainsi peser d’autant plus au sein du groupe d’extrême droite Identité et démocratie (ID) du Parlement européen, où siège le Rassemblement national. Ce qui ne réjouit pas du tout Marine Le Pen. Pactiser à Strasbourg avec les architectes d’une « remigration » puant les égouts saboterait une patiente conquête de respectabilité dont elle espère, plus que jamais, qu’elle lui ouvre les portes de l’Élysée en 2027.

Aussi a-t-elle, avec un empressement inhabituel, manifesté « son total désaccord avec la proposition qui aurait été discutée ou aurait été décidée » par l’AfD. Cela suffira-t-il ? Le sulfureux partenaire s’accroche, il allègue de prochaines discussions avec elle pour « rectifier la réalité » (sic) et « clarifier » prochainement un « malentendu ». Car les termes « déportation » et « expulsion massive » n’auraient pas été prononcés à Postdam – les médias exagèrent toujours, c’est bien connu. Nous voilà donc rassurés…

La tentation est grande de ne prêter qu’à l’Allemagne ce qui transpire de manière trop évidente de sa propre histoire.

Certes, la tentation est grande de ne prêter qu’à l’Allemagne ce qui transpire de manière trop évidente de sa propre histoire. Pourtant, gardons-nous de donner collectivement crédit au haut-le-cœur de Le Pen, comme si un « Postdam » à la française au RN, même toutes proportions gardées, relevait du pur fantasme. La dernière grande manifestation antifasciste remonte en France à plus de vingt ans, après que Le Pen père inaugurait, le 21 avril 2002, l’accession de l’extrême droite au second tour de la présidentielle française.

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Et comme s’il n’y avait à se préoccuper d’avenirs obscurcis qu’en Allemagne et en France. L’idéologie xénophobe, nationaliste et antieuropéenne marque des points dans presque tous les pays de l’Union. Italie, Suède, Hongrie, Pays-Bas, Espagne, Autriche, Finlande, Danemark, Belgique, Slovaquie, Tchéquie, Grèce, Croatie, Lettonie, Estonie : au total, 17 pays de l’Union européenne, dont les principaux en termes de population, ont vu l’extrême droite recueillir de plus de 10 % des voix aux dernières élections législatives. De quoi relativiser considérablement le soulagement venu de Thuringe.

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Parti pris

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