Une inutile polémique

Le président de la République est dans son rôle quand il invite tous les représentants de la nation, sans distinction, à se joindre à l’hommage national aux victimes françaises du Hamas. Et les députés de LFI ont raison d’aller aux Invalides.

Denis Sieffert  • 6 février 2024
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Une inutile polémique
Emmanuel Macron lors d'un précédent hommage national à l'Hôtel des Invalides, le 3 octobre 2023.
© Ludovic Marin / AFP

Un hommage national devait donc être rendu ce 7 février aux victimes françaises du Hamas. Parmi les 1  200 personnes qui ont perdu la vie dans l’attaque du mouvement islamiste, le 7 octobre dernier, aux abords de l’enclave palestinienne de Gaza, 42 étaient françaises ou franco-israéliennes. Comme le veut l’usage, le président de la République a invité à cette cérémonie des représentants de la nation, sans distinction d’opinion politique, philosophique ou religieuse. Mais cette indistinction a fortement déplu à cinq familles de victimes qui ont écrit à Emmanuel Macron pour lui demander d’exclure La France insoumise de cet événement, au prétexte qu’elles réprouvent les positions de ce mouvement.

Qui sait si l’homme politique n’aurait pas été tenté d’accéder à cette demande bien peu républicaine ? Mais le président, lui, a su rester à hauteur de la fonction. Ajoutons qu’il a fait savoir qu’un « moment mémoriel » sera dédié ultérieurement aux victimes françaises des bombes israéliennes. Tout est bien, donc. Si le pire a été évité, cela n’empêche pas de revenir sur ce qu’on a presque honte d’appeler « la polémique ». Que reprochent les familles de victimes à LFI, sans considération d’ailleurs de la diversité qui s’est exprimée au sein du mouvement ?

Dans ce courrier écrit par le collectif No Silence, les familles accusent LFI de « relativisme et de négationnisme ». Le reproche porte, on l’a compris, sur les déclarations de Jean-Luc Mélenchon qui, au lendemain de l’attaque, avait refusé de qualifier de terroriste l’action du Hamas et, par conséquent, le Hamas lui-même. Nous avions regretté ici même que le leader de LFI nie une évidence. Pour tout un chacun, tuer 1  200 personnes en aveugle, et avec un supplément de barbarie, c’est évidemment du terrorisme. Sans préjuger de l’analyse du contexte, et des causes, le mot s’impose. Le nier est une faute, et c’est, de surcroît, se rendre inaudible.

Mais, quatre mois plus tard, l’usage que les officiels israéliens ont fait de cette qualification, et par la suite la plupart des médias audiovisuels occidentaux, nous oblige à aller plus loin. À partir de ce concept, la propagande israélienne s’est livrée à toutes sortes d’amalgames qui ont transformé le conflit israélo-palestinien en « guerre au terrorisme », et le Hamas en filiale de Daech. Alors qu’il est, rappelons-le une fois encore, un mouvement palestinien, et que son action, aussi condamnable soit-elle, se situe dans le cadre historique et territorial d’un conflit de longue histoire. Et s’il a pris tant de place dans le paysage politique palestinien, aux dépens des Palestiniens eux-mêmes, c’est que les gouvernements israéliens lui ont donné tous les avantages.

Les terroristes du Hamas sont le pur produit, direct ou indirect, de la politique de la droite israélienne depuis trente ans.

En connivence avec le Qatar, ils l’ont financé ; ils ont méthodiquement affaibli ses rivaux, l’OLP et l’Autorité palestinienne, qui avaient reconnu Israël ; ils ont ruiné l’espoir d’une solution politique en colonisant massivement la Cisjordanie et Jérusalem-Est ; ils ont fait tirer sur les mouvements pacifistes palestiniens. Autrement dit, les terroristes du Hamas sont le pur produit, direct ou indirect, de la politique de la droite israélienne depuis trente ans. Et que dire aujourd’hui des colons qui ont crié « victoire », le 28 janvier, dans un meeting à Jérusalem, sinon qu’ils ont osé danser sur les morts ?

Voilà ce que le qualificatif de « terroriste », ou à tout le moins l’usage qui en est fait, a fini par dissimuler, comme un mur à la fois réel et symbolique derrière lequel il n’est pas permis de regarder. Un mur dans la conscience israélienne. C’est en fait toute la réalité du conflit, le blocus de Gaza depuis dix-sept ans et l’extension des colonies qui sont gommés. Rappeler cela, comme évoquer aujourd’hui le sort des Gazaouis, l’épouvantable bilan de quatre mois de frappes, les dizaines de milliers de morts, les corps mutilés, la famine organisée, ce n’est en rien relativiser la souffrance des familles des victimes du 7 octobre, ni ignorer l’angoisse de ceux qui ont encore des proches entre les mains du Hamas.

La réalité ne se divise pas. Elle ne peut être niée, ni relativisée. On parlera plutôt ici de déni que de négationnisme, avec le souci de ne pas instrumentaliser des mots par trop chargés d’affect. Macron a donc bien fait de tenir bon. Et les députés de LFI ont eu raison d’aller aux Invalides. Reste à souhaiter, puisque cette page est écrite à la veille de la cérémonie, que rien ne viendra atteindre la solennité du moment.

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