Le rapport social de la dette

Dans les approches libérales et keynésiennes de la dette, la croissance économique fait partie de l’équation. La bifurcation écologique et sociale pose, elle, la question des paris productifs d’une tout autre manière.

Mireille Bruyère  • 16 avril 2025
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Le rapport social de la dette
Lionel BONAVENTURE / AFP
© Lionel BONAVENTURE / AFP

La dette est associée à un discours moral qui occulte son soutien à l’ordre économique existant. En effet, la dynamique de la dette est un phénomène central du capitalisme mondial. Rappelons que la dette privée mondiale (entreprises et ménages) atteint 328 % du PIB mondial et celui de la dette publique mondiale 93 % en 2024, des ratios en croissance depuis 1975.

La dette n’est pas une obligation, c’est un rapport social entre débiteurs et créanciers dont la fonction sociale est de faire des paris de croissance économique future. Ce pari est microéconomique lorsqu’un banquier espère une croissance du chiffre d’affaires de l’entreprise permettant de rembourser les dettes issues des investissements dans un horizon fini. Il est macroéconomique lorsque les économistes ou le ministre de l’Économie espèrent que la croissance du PIB permettra de rembourser les intérêts de la dette publique chaque année. Dans tous les cas, ce rapport social nécessite une croissance économique minimale, au moins supérieure aux taux d’intérêt. Sinon, c’est l’effet boule de neige.

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Les économistes libéraux supposent que les dépenses publiques ne produisent pas de supplément de croissance, elles ne doivent pas augmenter et doivent même diminuer si on veut réduire la dette. Seuls les investissements privés permettent d’augmenter la croissance et la productivité. Il faut donc réduire ces dépenses jugées non productives plutôt que d’augmenter les prélèvements obligatoires des ménages les plus riches, dont le patrimoine est source, selon eux, de l’investissement privé, et donc de la croissance.

Les grandes transformations politiques ont toujours été l’occasion de remettre en question les dettes du passé.

La vision keynésienne de la dette suppose que les dépenses publiques autant que les investissements privés peuvent stimuler la croissance, la question de la dette se déplace sur le type de financement. Ce dernier ne doit pas annuler les effets sur la croissance de la dette. Par exemple, en baissant les taux d’intérêt ou en augmentant les impôts sur les plus riches.

Dans les deux cas, la croissance économique fait partie de l’équation. La bifurcation écologique et sociale pose la question des paris productifs d’une tout autre manière. Ainsi le rapport social de la dette ne peut plus trouver sa légitimité politique dans la croissance. Comment qualifier des dépenses économiques importantes pour l’avenir dont l’objectif n’est plus la croissance économique, mais la réduction de la production matérielle ?

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Par exemple, le développement d’une agriculture écologique en circuit court limite la quantité de transports, d’énergies, d’engrais, de plastiques pour une même quantité de calories alimentaires. Ces dépenses ne sont plus des investissements au sens économique du terme puisqu’elles n’ont pas vocation à être remboursées par le surcroît de croissance. Ainsi, la bifurcation ne peut être fondée sur l’actuel rapport social de la dette lui-même fondé sur la croissance.

Les grandes transformations politiques ont toujours été l’occasion de remettre en question les dettes du passé, comme l’annulation des dettes de l’Allemagne en 1953. Transformer ce rapport social, c’est envisager qu’une partie de nos dettes puissent être annulées (audit) et que les projets futurs puissent être financés sans remboursement.

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