Les cent jours calamiteux de Donald Trump

Le bilan – à bien des égards assassin – du président américain appelle quelques leçons sur la démocratie. S’il faut tout de même y voir quelque chose de positif, c’est la prise de conscience à laquelle il nous contraint.

Denis Sieffert  • 29 avril 2025
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Les cent jours calamiteux de Donald Trump
Donald Trump, en campagne à Grand Rapids, dans le Michigan, le 5 novembre 2024.
© KAMIL KRZACZYNSKI / AFP

C’est un concept napoléonien. Les Cent-Jours qui vont du retour de l’empereur de l’île d’Elbe à la défaite de Waterloo. Et c’est devenu un usage politique. Au terme des trois premiers mois, on tire un bilan provisoire. Avec Donald Trump, 48 heures ont suffi pour savoir ce qui attendait les Américains et le monde. Mais cédons à l’usage. Cela faisait cent jours, mardi 28 avril, que le président républicain a réintégré la Maison Blanche, après un premier mandat plus inquiétant que dévastateur entre 2016 et 2020. Celui-ci est calamiteux, et il est bien tard pour s’inquiéter. Les premières victimes, dans leur chair, sont les migrants. Traqués, persécutés par un pouvoir plutôt inspiré du Ku Klux Klan que des Kennedy. Symbolique, cet épisode de l’arrestation d’une juge du Wisconsin en pleine audience parce qu’elle s’était opposée à l’interpellation d’un migrant dans l’enceinte du tribunal.

S’il faut tout de même voir quelque chose de positif dans tout ça, c’est la prise de conscience à laquelle nous contraint Trump.

Les règles les plus sacrées du droit sont foulées aux pieds. Le pire, parce que c’est la mort semée partout dans le monde, c’est la liquidation de 83 % des programmes de l’Usaid, l’agence de l’aide au développement. C’est la propagation du sida, l’explosion du paludisme, la famine en Afrique et en Asie. Une charge mondiale contre les pauvres. Moins immédiatement criminelle, l’offensive contre les universités, la recherche, les lieux de culture. Ce n’est pas Farenheit 451, mais ce sont des livres interdits, et des mots, et des idées. Ce que le monde aimait le mieux dans ce pays. Côté climat, ce n’est pas seulement le retrait de l’accord de Paris, c’est l’encouragement à détruire la planète. Et puis, bien sûr, le chaos économique. L’affaire des droits de douane révèle un dirigeant des années 1930, d’avant Roosevelt.

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Trump n’a pas compris la mondialisation. Il n’a pas anticipé que la Chine était l’usine du monde. Il a cru pouvoir réintégrer par un claquement de doigts la production chinoise aux États-Unis, y faire travailler les enfants. Il ne savait pas que la Chine possède la plupart des terres rares indispensables à l’industrie américaine. Ici ou là, il se ravise, sans honte. S’il faut tout de même voir quelque chose de positif dans tout ça, c’est la prise de conscience à laquelle nous contraint Trump. L’Europe en tire quelques leçons. Elle tente d’exister dans le conflit ukrainien. À ce sujet, il faudrait être candide pour croire que le conciliabule Trump-Zelensky du Vatican (une bien belle photo !) marque un tournant anti-poutinien. Zelensky a raison de faire semblant d’y croire.

Mais Trump n’a de politique étrangère que celle de son portefeuille : les sous-sols de l’Ukraine, la mainmise immobilière sur Gaza, au prix d’une monstrueuse épuration ethnique ou d’une extermination, l’annexion des grands lacs canadiens et du Groenland… Une boussole aggravée d’un racisme primitif. Côté prise de conscience, il y a deux ou trois leçons bonnes pour nous. Nous pouvons mesurer la volatilité de l’économie mondiale. Il a suffi que Trump menace de congédier Jerome Powell, le président de la Réserve fédérale (la banque centrale américaine) pour que les bourses s’effondrent, avec toutes les catastrophes sociales qui vont de pair. Dans un tel système, nous sommes peu de chose !

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Qui peut arrêter le massacre ? Les Démocrates sont atones, hormis la gauche de Bernie Sanders et d’Alexandria Ocasio-Cortez ; et les Républicains, terrorisés, alors même que leurs électeurs commencent à comprendre ce qu’ils ont fait. Le nouvel Ubu vient de perdre 6 points dans les sondages, en « cent jours » (1). Et 24 % de ses électeurs disent regretter leur vote. C’est Waterloo ! Seul le Congrès pourrait imaginer une procédure d’empeachment. Impensable, alors que les Républicains tiennent les deux chambres. Et peu des 90 procédures engagées contre les décrets trumpiens ont des chances d’aboutir. Sinon, il faut attendre les midterms de 2026. Avec l’espoir que les principes fondamentaux de la démocratie existeront encore.

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Sondage YouGov pour CBS News du 13 avril.

Comme disait la marionnette de Chirac, lequel était impatient de devenir président, « putain, encore dix-huit mois ! ». D’ici là, combien de guerres, combien d’épidémies ? Et voilà la leçon double que l’on doit tirer de ces trois mois : voter « contre » ne suffit pas, quand c’est au risque du pire. Les Allemands détestaient les socio-démocrates de la République de Weimar. Cela valait-il le coup de voter pour Hitler ? Mais la question est plus complexe qu’il y paraît. Faut-il rêver d’en revenir à l’état ante? Car le « trumpisme » a des causes. Il est comme un coup de folie contre le libéralisme ambiant. N’y a-t-il pas mieux à imaginer ?

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