Discrimination à l’hôpital : deux salariées de la Pitié-Salpêtrière sanctionnées pour leur couvre-chef
Début mai, deux salariées racisées de l’hôpital ont été sanctionnées, non pour leur travail, mais pour leur tenue vestimentaire. En cause, leur couvre-chef, jugé comme une « atteinte à la laïcité ». Une affirmation que les deux, qui dénoncent une « discrimination raciste », contestent fermement.

Maïwenn* et Inès* n’ont pas grand-chose en commun. Elles n’ont pas le même âge, ne se connaissent pas, ne font pas le même métier. Elles travaillent simplement toutes les deux depuis plusieurs années au sein de la Pitié-Salpêtrière, premier groupe hospitalier français par sa taille. Et… toutes les deux sont racisées.
Pour elles, cela ne fait pas de doute, c’est la raison pour laquelle elles se retrouvent, aujourd’hui, dans une situation semblable. Les deux femmes – l’une, attachée de recherche et l’autre, infirmière – ont récemment été convoquées et sanctionnées par leur direction parce qu’elles portaient un couvre-chef durant leur temps de travail.
Les prénoms suivis d’une astérisque ont été changés.
« Pourquoi portez-vous ça sur la tête ? Connaissez-vous la laïcité ? »
Pour Inès, tout commence début février. Elle fait alors une présentation de son travail devant la direction de l’hôpital. Durant celle-ci, elle porte une blouse et un calot médical. À la fin de la réunion, la directrice s’approche d’elle et l’interroge sur son couvre-chef. Pourquoi porte-elle un calot ? Connaît-elle la laïcité ? « J’étais totalement choquée, je ne m’y attendais pas du tout, je pensais qu’elle allait me parler de ma présentation, qui était, en plus, réjouissante pour l’hôpital », confie la salariée, qui enchaîne les CDD depuis près de quatre ans. Sous le coup du stress, elle assure à sa directrice qu’elle l’enlèvera. « Et c’est là que le cauchemar a commencé », souffle-t-elle.
J’étais totalement choquée, je pensais qu’elle allait me parler de ma présentation.
Inès
En effet, Inès souffre d’alopécie, un problème du cuir chevelu lui faisant perdre ses cheveux. « C’est quelque chose qui me complexe beaucoup », raconte-t-elle. « Ce que je trouve injuste, c’est que la directrice ne s’est jamais posée cette question. Elle a vu mon nom, ma tête, et voilà, j’attentais à la laïcité », poursuit l’attachée de recherche.
« On ne peut que s’interroger sur les éléments qui ont poussé [la directrice] à supposer puis à affirmer que Inès portait un couvre-chef pour de raisons religieuses », abonde Blandine Chauvel, élue au comité social et économique (CSE) et déléguée syndicale à Sud Santé, dans un mail au responsable des ressources humaines de l’hôpital et que Politis a pu consulter.
Des pressions, une convocation… et un non-renouvellement
Les semaines s’enchaînent et le sujet revient, incessamment. « J’ai essayé d’être forte, mais on me relançait tout le temps. On ne me parlait plus que de ça, assure-t-elle, j’adorais mon travail, ils me l’ont fait détester. » Elle finit par recevoir, mi-avril, une convocation. « J’ai pété un plomb, je ne dormais plus, je ne mangeais plus. » Elle est placée en arrêt et ne se rend pas à la convocation.
Aussi, Inès assure que la question de sa titularisation – après quatre ans de contrats courts –, était sur la table. « On m’avait dit que je passerais en CDI en mars 2025. Avec cette histoire, on m’a informé que je ne serai pas renouvelée. »
Cela pourrait « s’apparenter à une sanction », note Blandine Chauvel dans le mail précédemment cité, qui demande que « l’obtention du CDI qui lui a été promis, et son affectation dans un service lui permettant de tirer un trait sur ces épisodes vexatoires, s’imposent au plus vite ».
Un couvre-chef est-il un « signe religieux par destination » ?
Interrogé sur l’ensemble de ces éléments, la direction de la Pitié-Salpêtrière répond simplement que « l’AP-HP, comme toutes les institutions publiques, est tenue à une obligation de neutralité et au respect du principe de la laïcité ». Et poursuit : « Afin que ce principe soit compris et respecté de tous, l’AP-HP a mis à disposition de tous ses agents un guide pratique et une formation obligatoire pour l’ensemble du personnel (administratif et soignant) pour clarifier les droits et les obligations du personnel et des usagers de l’hôpital en matière de laïcité. »
Il a été demandé à la collègue si, selon elle, son couvre-chef avait une connotation religieuse.
B. Chauvel
Dans ce guide, il est inscrit que « la jurisprudence administrative est venue rappeler à plusieurs reprises que tout signe peut devenir religieux par la volonté de celui qui le porte et ainsi être considéré comme un ‘signe religieux par destination’ ». Sur les situations précises d’Inès et de Maïwenn, aucune réponse n’a été apportée à nos questions.
Pour cette dernière, c’est en janvier 2025 que les problèmes commencent. L’infirmière, en poste depuis 2018 au sein de l’hôpital, se voit demander de signer la charte de laïcité. Ce qu’elle fait, sans aucun problème, affirmant être totalement en accord avec celle-ci. Dans ce document, il est simplement rappelé que « le fait pour un agent public de manifester ses convictions religieuses dans l’exercice de ses fonctions constitue un manquement à ses obligations ».
« Cela me contrarie et m’affecte que mon intégration soit remise en question »
Mais vite, la question du couvre-chef que porte Maïwenn – depuis son embauche – devient insistante. En l’espace de quatre mois, elle est convoquée à cinq reprises. On lui demande de raccourcir son bandeau, puis que celui-ci ne dépasse pas les quatre centimètres. Un rapport est finalement rédigé par une cadre de la direction. Il y est indiqué à l’infirmière qu’elle n’a pas respecté les principes de la laïcité, du fait qu’elle couvre « la quasi-totalité de ses cheveux avec des accessoires de mode différents » (sic).
Pour la soutenir, une pétition est rédigée au sein de son service, signée par plusieurs dizaines de personnes, y compris des médecins. On peut notamment lire que Maïwenn est « une excellente infirmière, sur laquelle nous pouvons compter en toutes circonstances ».
Mais, elle est quand même convoquée pour un entretien préalable à une sanction. Au fil des minutes, celui-ci prend une étrange tournure. « Il a été demandé à la collègue si, selon elle, son couvre-chef avait une connotation religieuse. Cette question en dit long sur le flou qui entoure les reproches formulés : comment justifier une procédure disciplinaire si l’administration elle-même en est encore à interroger l’agent sur la nature des faits supposés qui lui sont reprochés ? », interroge, dans un mail à la direction, Blandine Chauvel.
L’élue du CSE va plus loin : « Après vous avoir demandé plus de dix fois sur quels éléments la direction se basait sans obtenir de réponse, force est de constater que le seul élément laissant supposer une connotation religieuse au couvre-chef de notre collègue, c’est son origine supposée. »
Un blâme pour « non-respect de la tenue vestimentaire professionnelle »
Finalement, Maïwenn se voit sanctionner d’un blâme, où la question de la laïcité n’apparaît pas. Il est reproché à l’agente le « non-respect de la tenue vestimentaire professionnelle ». Une qualification large qui n’étonne guère la syndicaliste.
Au cours de l’entretien, la direction aurait dévié sur le sujet de l’hygiène. « À défaut d’arguments juridiques, vous avez alors déplacé le débat sur le terrain de l’hygiène : recommandations de l’Académie de médecine, comparaison avec les ongles longs, les bijoux, les manches longues… autant d’éléments qui ne concernent en rien Maïwenn, puisqu’elle ne porte aucun de ces accessoires. Et, comme elle vous l’a rappelé, elle porte les bras nus en salle. »
J’ai essayé d’être forte, mais on me relançait tout le temps. On ne me parlait plus que de ça.
Inès
À la sortie de l’entretien, visiblement choquée, Maïwenn écrit un mail à ses supérieurs. « Vous m’avez expliqué que nous étions dans un établissement public et laïc et que c’était à moi de ‘m’intégrer’ dans cet environnement professionnel, que j’avais signé une charte de la laïcité. Je ne comprends pas quels éléments vous font aujourd’hui douter de mon intégration au sein mon service et de l’hôpital où je travaille depuis 2018, ou de mes fonctions d’infirmières que j’exerce avec passion et diligence. Cela me contrarie et m’affecte que mon intégration soit remise en question. »
Cinq personnes auraient déjà quitté l’hôpital depuis janvier
Les deux salariées devraient, accompagnées de l’élue au CSE, entamer des recours pour contester ces sanctions, qu’elles considèrent comme discriminantes et racistes. L’élue dénonce, de manière plus large, une « chasse aux couvre-chefs » depuis le début de l’année. Selon l’élue, au moins cinq personnes ont d’ores et déjà quitté l’hôpital depuis janvier suite aux pressions mises sur leur couvre-chef.
Un « prétexte » pour l’élue pour ne pas parler des sujets qui fâchent. « Alors que tous les jours on manque de moyens, de lits et surtout de personnel, la direction, elle, consacre une énergie phénoménale à traquer les couvre-chefs des collègues », s’indigne la section syndicale, dans un tract daté de mi-avril. « Imaginez, la semaine dernière on manquait de thermomètres, c’était ça le sujet qui animait les collègues ! », glisse Blandine Chauvel. Chacun ses priorités.
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