En Haute-Loire, « la loi Duplomb est une vraie catastrophe pour nos abeilles »
Alors que l’examen de la proposition de loi Duplomb démarre ce 26 mai, les apiculteur·ices de Haute-Loire se mobilisent pour s’opposer au texte, inquiet·es de voir le retour d’un néonicotinoïde un temps interdit pour sa létalité sur les pollinisateurs.

© Eléna Roney
C’est au cœur des gorges de la Loire, entre montagnes et sucs, près de la commune altiligérienne de Valprivas, que Charles Peyvel a installé une partie de ses ruches à plus de 900 mètres d’altitude. Tout en s’occupant de ses abeilles, l’apiculteur certifié bio peste sur la proposition de loi « Duplomb », notamment sur l’article prévoyant le retour de l’acétamipride, un pesticide de la famille des néonicotinoïdes, létal pour les pollinisateurs. « J’y suis opposé, commence-t-il au milieu du bourdonnement constant des insectes. Ça m’inquiète vraiment pour mes abeilles. Cette loi est un vrai retour en arrière. »
La loi du sénateur de Haute-Loire, Laurent Duplomb (Les Républicains), « visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur », votée au Sénat en février dernier et débattue à l’Assemblée à partir de ce 26 mai, prévoit, entre autres, de réautoriser un néonicotinoïde, pourtant interdit depuis 2018 en raison de sa toxicité prouvée par l’INRAE (Institut national de recherches pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) ou encore l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments).
N’en déplaise au parlementaire, qui soutient mordicus sa supposée inoffensivité. La réautorisation de ce pesticide profiterait aux betteravier·es et aux producteur·ices de noisettes. « On nous dit que les producteurs de betteraves n’ont pas d’autres solutions, mais je travaille avec des betteraviers bio du nord de la France. Et ils m’expliquent qu’on peut très bien cultiver sans les néonicotinoïdes », oppose Charles Peyvel.
Toute la biodiversité est impactée d’une façon phénoménale.
F. Tavoillot
Les néonicotinoïdes attaquent le système nerveux des insectes
Henri Clément, apiculteur lozérois depuis une trentaine d’années, possédant près de 400 ruches, et porte-parole de l’Union nationale de l’apiculture française (Unaf), se souvient du temps où les néonicotinoïdes ont commencé à être autorisés en France. « Ils sont arrivés dans les années 1990. C’était un nouveau procédé de traitement, par lequel on enrobait les graines avec une molécule, qui allait protéger le système racinaire, puis monter dans la sève et protéger la plante tout au long de son développement. » Il poursuit : « Au tout début, il y avait beaucoup de réunions d’apiculteurs dans l’Indre, connu pour ses nombreuses plantations de betteraves. Ils étaient inquiets car ils commençaient à voir des signes d’intoxication sur leurs abeilles. »
Les néonicotinoïdes attaquent le système nerveux des insectes, dont celui des abeilles, perturbant leur croissance, leur reproduction, leur sens de l’orientation, et provoquent une hyperexcitation neuronale, conduisant à la paralysie, puis la mort. « Dans ces années-là, on est passé d’un taux de mortalité des abeilles qui était de 5 à 8 % par an à un taux de l’ordre de 30 % pour la moyenne nationale, et qui s’élevait jusqu’à 70 % près des zones de grande culture », s’indigne l’apiculteur.
Face à ce retour de tueur de pollinisateurs, les éleveur·euses d’abeilles se mobilisent depuis plusieurs mois dans le département et alentours. À l’image du 1er février dernier, marqué par une manifestation au Puy-en-Velay, au cours de laquelle les apiculteur·ices avaient emmuré la permanence de Laurent Duplomb à l’aide de ruches vides. Une mobilisation organisée par Isabelle Coudert, apicultrice depuis une dizaine d’années à la Chaise-Dieu, village du centre du département, célèbre pour son abbaye gothique et ses festivals de musique classique.
Le problème de cette loi, c’est qu’elle ne concerne et ne bénéficie qu’à quelques agriculteurs.
H. Braud
La présidente du syndicat apicole du département, qui a repris l’exploitation familiale, ne mâche pas ses mots : « Cette loi est une vraie catastrophe pour nos abeilles. Ça me met très en colère, car elle va autoriser une branche agricole à en détruire une autre légalement. Et en plus, elle est soutenue par la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard ! »
« Toute la biodiversité est impactée d’une façon phénoménale »
François Tavoillot, apiculteur depuis une quarantaine d’années et désormais à la retraite, s’occupe toujours d’une centaine de ruches. Il vit sur le plateau du Velay, dans le village de Montregard, situé tout à l’est du département, à la frontière avec l’Ardèche. Auteur de différents livres et textes sur les abeilles, il se range à l’avis de sa collègue.
« C’est décourageant, lâche-t-il ainsi. On n’arrive pas à sortir de l’utilisation de pesticides, alors que pour les néonicotinoïdes, on sait depuis les années 1990 qu’ils font des dégâts énormes. » Il ajoute, déprimé : « Les abeilles sont uniquement la partie émergée de l’iceberg. Mais il y a des quantités énormes d’insectes qui ont disparu. Toute la biodiversité est impactée d’une façon phénoménale. »
Plus à l’ouest du département, dans les gorges de l’Allier, Hervé Braud, membre de la Confédération paysanne, exerce depuis 2011 à Siaugues-Sainte-Marie, et possède 400 ruches. Il ne cache pas non plus son énervement vis-à-vis de ce projet législatif : « Le problème de cette loi, c’est qu’elle ne concerne et ne bénéficie qu’à quelques agriculteurs. Ce n’est pas le monde des agriculteurs qui demande ça. C’est la FNSEA. »
Laurent Duplomb a lui-même été président du puissant syndicat agricole ainsi que de la chambre d’agriculture de Haute-Loire. Son fils, Julien Duplomb, a quant à lui été élu président des Jeunes Agriculteurs de Haute-Loire l’an dernier.
« Sans pollinisateurs, plus de fruits, plus de légumes, plus de céréales, plus rien »
Et bien que les apiculteur·ices et les pollinisateurs les plus touchés soient celles et ceux dont les ruches sont situées près de grandes zones d’agriculture, les lieux éloignés ne sont pas en reste, comme l’explique Charles Peyvel. « Dans le département, il n’y a pas de culture de betteraves ou de noisettes. On pourrait se dire qu’on est à l’abri. Mais non. »
Il précise : « J’ai appris il y a quelques années que des agriculteurs des alentours n’avaient d’autre choix que de se fournir avec de la semence traitée aux néonicotinoïdes. Donc nos abeilles butinent possiblement dans des champs dont les graines sont traitées à ce genre de produits, et on n’est pas au courant. »
L’autorisation de ce pesticide viendrait s’ajouter à grand nombre de problématiques rencontrées par les apiculteur·ices aujourd’hui. « Le déclin des abeilles, je le vois d’année en année, témoigne ainsi Isabelle Coudert. Et il faut de plus en plus nourrir les abeilles l’hiver parce que leurs réserves ne suffisent plus. Il y a 30 ans, ce n’était pas le cas. »
Entre dérèglement climatique, multiplication des frelons asiatiques, de maladies, et conséquences des pesticides, les abeilles, et plus généralement les pollinisateurs sont de moins en moins nombreux. « Ce que semblent surtout oublier les défenseurs de cette loi, c’est que sans pollinisateurs, il n’y a plus de fruits, plus de légumes, plus de céréales, plus rien, rappelle Isabelle Coudert. Il faudra polliniser à la main, fleur par fleur. »
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