« Save our Souls », SOS âme de l’humanité

Jean-Baptiste Bonnet montre le sauvetage d’exilés par l’équipage de l’Ocean Viking.

Christophe Kantcheff  • 10 juin 2025 abonné·es
« Save our Souls », SOS âme de l’humanité
"Save our Souls" est une véritable œuvre de cinéma. Parce que le film excède les limites d’un discours. Parce qu’il va au-delà de la stricte distribution des rôles.
© Andana Films

Save our Souls / Jean-Baptiste Bonnet / 1 h 31.

Dans le cadre de la journée mondiale des réfugié·es, et alors que SOS Méditerranée célèbre ses 10 ans, une soirée exceptionnelle est organisée le 20 juin, qui verra de nombreuses salles de cinéma projeter Save our Souls, un documentaire de Jean-Baptiste Bonnet. Le film montre un sauvetage effectué en 2023 par l’équipage de l’Ocean Viking, le bateau affrété par SOS Méditerranée. Une soirée militante où le cinéma est aussi de la partie. En effet, Save our Souls n’est pas qu’un simple support pour faciliter la communication de l’association, ou un film prétexte à délivrer des messages d’alerte sur le sort des exilés.

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Save our Souls est une véritable œuvre de cinéma. Parce que le film excède les limites d’un discours. Parce qu’il va au-delà de la stricte distribution des rôles : d’un côté les victimes, de l’autre les sauveteurs. Aussi parce que le cinéaste, embarqué sur l’Ocean Viking, ne néglige pas la beauté de la mer et du ciel alentour malgré les circonstances. Photographe de formation, chef opérateur et documentariste, Jean-Baptiste Bonnet sait capter la lumière et fait preuve d’une évidente science du cadre. Cette préoccupation formelle a un sens dans un tel film.

La beauté ne relève pas que d’une compétence technique, elle n’est pas non plus un « supplément d’âme ». Elle rappelle qu’il n’y a pas de fatalité à ce que la Méditerranée soit devenue une immense fosse commune, que cette tragédie est une insulte à ce que le monde nous offre de splendeur. Plus encore, ce soin accordé à la forme ouvre le regard sur les personnes sauvées. Un plan montre un exilé et un sauveteur côte à côte admirant les chatoiements de la lumière sur la mer. La beauté entre dans l’horizon des déracinés qui ont côtoyé la mort, comme le rire autour d’un jeu de dominos (autre moment du film). C’est-à-dire la vie.

Périple de l’horreur

Voilà comment Jean-Baptiste Bonnet ne montre pas les exilés selon l’image univoque de victimes qu’on peut communément s’en faire. Pour autant, le cinéaste n’édulcore pas l’enfer traversé. Le groupe de femmes et d’hommes serrés sur un petit esquif endommagé et à la dérive qui trouvent refuge sur l’Ocean Viking ont pour la plupart perdu des proches, des amis du village d’où ils viennent, des compagnons d’infortune.

Tous parlent de l’enfer de la Libye et de ses prisons où règnent la torture et les meurtres arbitraires. L’un d’eux, le visage meurtri (un œil en moins) et des traces de balles sur les jambes, raconte le périple de l’horreur qui a été le sien. Au Nigeria, dans son pays, son père a été tué par une milice qui a ensuite mis le feu à sa maison. Sa mère et lui sont partis en Libye, où ils ont été kidnappés, puis, devant lui, sa mère a été violée avant d’être tuée.

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Save our Souls montre aussi les différents aspects d’une mission de sauvetage, les savoir-faire qu’elle requiert. Par exemple, la méthode d’approche de l’Ocean Viking vers des naufragés – pouvant être perturbée par des tirs de garde-côtes libyens. À bord, on parle anglais et arabe, un médecin reçoit les malades, on explique les premières démarches administratives auxquelles les exilés vont devoir se soumettre. La priorité est au réconfort physique et psychique, dans un esprit de protection tous azimuts. L’équipe a pensé à tout, même à proposer une table de romans mis à disposition, dans différentes langues.

Exilés et sauveteurs sont dans une relation fugace mais d’une intensité inouïe.

Là encore, un plan inattendu : un des rescapés s’attarde sur les premières pages de Pride and Prejudice (Orgueil et préjugés), le grand roman d’amour de Jane Austen. Cette mission est également l’histoire d’une rencontre, même si elle n’est que de quelques jours. Exilés et sauveteurs sont dans une relation fugace mais d’une intensité inouïe. Si ce qui attend les réfugiés en Europe est loin d’être un tapis de roses, ces liens de pure fraternité se seront inscrits une fois pour toutes. C’est ainsi notre âme collective, celle de l’humanité tout entière, qui aura été sauvée (« Save our Souls »). Ce très beau film en témoigne.

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