Festival « Convivencia », le monde dans un bateau

Mis à flot en 1996, le festival Convivencia sillonne l’Occitanie avec une longue péniche pour donner à entendre des musiques d’horizons multiples au fil du voyage. Parmi les artistes de l’édition 2025 se détache Shamaly, jeune rappeur palestinien accueilli dans le cadre d’une résidence de plusieurs mois.

Jérôme Provençal  • 18 juin 2025 abonné·es
Festival « Convivencia », le monde dans un bateau
Shamaly, qui a pu quitter Gaza pour l’Égypte, a appris la musique en autodidacte.
© DR

Convivencia / Du 28 juin au 21 juillet, en Occitanie.

Le festival Convivencia se déroule en début d’été, sur un peu plus de trois semaines. Naviguant au rythme de 5 km/h, via principalement le canal du Midi, la péniche Tourmente effectue une quinzaine d’escales dans plusieurs départements. À chaque étape correspond une soirée musicale en accès libre, avec deux ou trois concerts ou DJ-sets sur le pont transformé en scène. Des stands de restauration s’installent sur les berges, pareilles à des guinguettes. Le tout suscite une ambiance de grande convivialité, fidèle à l’esprit animant l’association porteuse de l’événement, créée en 1990 et elle aussi nommée Convivencia – mot qui signifie « vie en commun », « vivre-ensemble » en espagnol.

« Nous défendons les musiques du monde dans toutes leurs diversités, entre tradition et modernité, souligne Cécile Héraudeau, montée à bord en 2005, directrice depuis 2012 et par ailleurs présidente du bureau de Zone franche (réseau professionnel majeur dans le champ des musiques du monde). Le festival constitue la partie la plus visible du travail mené par l’association. Nous développons beaucoup d’actions culturelles à l’année. Par exemple, quand nous programmons ou accueillons en résidence des artistes, nous proposons toujours en complément des rencontres avec divers publics – notamment des jeunes, des personnes âgées et des personnes en situation de handicap. »

Économie fragile

Si Convivencia jouit aujourd’hui d’une reconnaissance importante, son économie reste fragile. Le festival fonctionnant sans billetterie, les recettes sont générées seulement par les buvettes et quelques ateliers de pratique artistique. Compris entre 350 000 et 400 000 euros suivant les années, le budget provient à 80 % du financement public. Or la conjoncture en France est loin d’être favorable.

« C’est compliqué cette année, confirme Cécile Héraudeau. Nous sommes encore en attente de réponses de la part de certaines collectivités. Les réponses arrivent de plus en plus tard. Ce phénomène se généralise dans le secteur culturel et engendre de sérieuses difficultés de trésorerie. Heureusement, le festival a les reins solides. Cela dit, nous nous posons des questions pour la suite, en cherchant comment revoir notre modèle économique afin d’assurer notre avenir. »

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À l’heure où cet article est écrit, le festival accuse déjà une baisse de près de 10 % des subventions allouées pour son édition 2025, les pertes se situant surtout du côté de l’État. Au niveau local, la principale défection vient du conseil départemental de l’Hérault (dirigé par le PS). Impact direct : Convivencia effectuera une seule halte dans le département lors de cette édition. « Le festival est un vrai projet de territoire, construit avec les différents partenaires locaux, souligne Cécile Héraudeau. Ne pas avoir le soutien de l’Hérault est problématique. Du coup, nous avons bien développé notre parcours dans l’Aude, un département plutôt rural où l’offre culturelle est réduite, qui a un réel besoin dans ce domaine. »

Sur les quatorze escales de cette 29e édition, l’Aude va ainsi en accueillir cinq. Autre principale zone d’ancrage, la Haute-Garonne affiche également cinq dates. Émerge en particulier celle du 1er juillet à Ramonville (juste à côté de Toulouse), qui hisse haut le pavillon palestinien en invitant deux artistes aux orientations musicales distinctes : Bashar Murad (électro-pop) et Shamaly (rap).

Originaire de Jérusalem-Est, Bashar Murad – ouvertement gay, très offensif contre le gouvernement israélien – habite actuellement à Paris. Né en 2001 aux Émirats arabes unis, vivant depuis l’âge de 9 ans dans la bande de Gaza, Shamaly a pu la quitter en mars 2024, avec une partie de sa famille, pour trouver refuge en Égypte.

Dans mon album, il sera question de choses qui m’habitent : le changement, la perte, être soi-même, grandir…

Shamaly

Sa participation à Convivencia s’inscrit dans le cadre plus large d’une résidence de cinq mois, via le programme Sawa Sawa, mis en place en 2024 par l’Institut français de Jérusalem, qui vise à soutenir la création artistique palestinienne en proposant notamment des résidences – de trois à six mois – en France durant l’année 2025. Shamaly (Ahmed Al-Shamali de son vrai nom) est accueilli par Convivencia en partenariat avec la municipalité de Ramonville, qui met à sa disposition un appartement et un espace de travail.

Blocage ubuesque

Prévue fin février, son arrivée a été retardée durant près de deux mois en raison d’un blocage de sa demande de visa par le ministère de l’Intérieur – situation « ubuesque », dixit Cécile Héraudeau, dans la mesure où Sawa Sawa est une initiative officielle de l’État français, sous la gouverne du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Les dates de son séjour ayant pu être décalées, il va rester jusqu’à fin septembre.

Nous avons pu rencontrer Shamaly le 10 juin à Toulouse, dans un café du quartier des Carmes. Musicien autodidacte, il a plongé tôt dans le rap, vers l’âge de 9 ans, alimenté par un cousin qui lui procurait des CD et des cassettes de hip-hop venus des États-Unis. « J’ai commencé à faire de la musique à l’adolescence, en apprenant via des vidéos sur internet, se souvient-il. Peu de gens écoutent du rap à Gaza, avant tout des jeunes. Là-bas, c’est impossible de jouer en live. Il y a beaucoup de restrictions, peu de liberté. Toutes les personnes impliquées dans le milieu rap se connaissent et s’entraident. Avant la guerre, avec des amis, nous avions créé un collectif et monté un label, Manjam. »

Publié en octobre 2024 dans ce label, le premier EP de Shamaly – Bdl Faqed, quatre intenses morceaux chantés en arabe – a été conçu entre Gaza, dans un studio carburant à l’énergie solaire (qui a été détruit par l’armée israélienne), et l’Égypte. Son deuxième doit bientôt paraître. Objectif artistique de sa résidence en France : réaliser de nouveaux morceaux en vue de son premier album, dont il va offrir un aperçu en live le 1er juillet, à Ramonville. « Je suis attaché au format album car il permet de raconter une histoire. Dans celui sur lequel je travaille, il sera question de choses qui m’habitent : le changement, la perte, le fait de devoir affronter des situations que l’on n’a pas envie d’affronter, être soi-même, grandir, arriver à s’en sortir… »

En dehors des sessions de travail, Shamaly participe à des journées de rencontres organisées par Convivencia. Il prend aussi le temps de découvrir Toulouse, qu’il trouve « détendue, amicale », et va voir des concerts au Metronum ou au Bikini, les deux principales salles de la ville. Outre le concert du 1er juillet à Ramonville, lui-même va se produire plusieurs fois sur scène durant sa résidence en France, dans diverses villes – y compris Paris.

Des DJ-sets sur le pont de la péniche rythment le festival Convivencia. (Photo : infinnegatif.)

Soutenu par ses parents, entouré par plusieurs partenaires musicaux, il espère pouvoir poursuivre sur sa lancée quand il retournera en Égypte. « Je voudrais trouver un travail là-bas pour avoir les moyens de continuer à faire de la musique comme je veux, en toute indépendance. » Son devenir artistique n’est évidemment pas sa seule préoccupation actuellement.

C’est dur de ne pas avoir de pays, de ne pas savoir quand cette guerre finira ni si nous pourrons revenir là-bas.

Shamaly

Encore en lien avec des membres de sa famille (dont une sœur) et des amis qui ont dû rester dans la bande de Gaza, il ressent au quotidien ce que provoque sur place la guerre épouvantable imposée par Netanyahou. « Hier, j’ai téléphoné à un ami et il m’a simplement dit : “J’ai faim.” Cette situation est très éprouvante. C’est dur de ne pas avoir de pays, de ne pas savoir quand cette guerre finira ni si nous pourrons revenir là-bas. »

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C’est la première fois qu’un artiste en provenance d’une zone de conflit est accueilli par Convivencia dans le cadre d’une résidence de longue durée. «Nous ressentons une telle impuissance devant la guerre à Gaza que nous essayons, à notre petite échelle, d’apporter une aide et une forme de soutien, commente Cécile Héraudeau. Les acteurs culturels ont du poids pour informer et créer du lien. Il est vraiment nécessaire d’agir.»

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Musique
Temps de lecture : 7 minutes