Dans leurs médias, les milliardaires Bolloré et Stérin mènent un combat contre les femmes

Les titres contrôlés, détenus ou financés par ces fortunes d’extrême droite font passer – subtilement ou non – une vision du monde où les femmes sont toutes désireuses d’avoir des enfants, où la natalité doit être relancée et où l’avortement est un meurtre.

Paul Hetté  • 26 juin 2025 abonné·es
Dans leurs médias, les milliardaires Bolloré et Stérin mènent un combat contre les femmes
Une opposante à la manifestation anti-IVG, dite "Marche pour la vie", à Paris, en janvier 2025. Elle porte un costume évoquant la série "La Servante écarlate", adapté du roman dystopique éponyme de Margaret Atwood.
© Maxime Sirvins

« Des femmes fortes, des mères inspirantes. » Il s’agit de la biographie du média Lou, lancé en 2023, et cumulant aujourd’hui 264 000 abonnés sur Instagram et 184 000 sur TikTok. Comme son nom l’indique, il aborde dans ses vidéos le thème de la famille. Selon une enquête d’Arrêt sur images, qui a analysé toutes les publications du compte Instagram de Lou Média pendant un an, 54 % des vidéos publiées abordent le thème de la parentalité, qui plus est hétérosexuelle puisqu’aucune ne mentionne l’homoparentalité.

Lou Média présente également une société dans laquelle « les femmes qui ne sont pas mères le sont en raison d’une infertilité qui les en empêche, mais jamais par choix, comme le montre la vidéo « Je ne peux pas avoir d’enfants » avec Enora Malagré », raconte Arrêt sur images. Derrière ce média « feel good », se cache pourtant un actionnaire : Pierre-Édouard Stérin. L’ultraconservateur, qui a fait fortune grâce à son entreprise Smartbox, est aussi le fondateur du projet Périclès, qui signifie « Patriotes, enracinés, résistants, identitaires, chrétiens, libéraux, européens, souverainistes ».

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Ce projet vise à financer une galaxie d’entreprises, d’événements et de médias – notamment via son Fonds du bien commun – pour atteindre une « victoire idéologique, électorale et politique » de l’extrême droite, que l’on connaît peu pour ses positions féministes.

La natalité, obsession de l’extrême droite

Car au-delà de la volonté de « réarmement démographique » voulu par Emmanuel Macron, la natalité est l’une des – nombreuses – obsessions de l’extrême droite. Dans son programme présidentiel de 2022, Marine Le Pen écrivait qu’« il s’agit d’inciter les familles françaises à concevoir plus d’enfants » pour assurer « la continuité de la nation et de la transmission de notre civilisation ».

De son côté, Éric Zemmour proposait de créer un ministère de la Famille pour répondre à la chute de la natalité, qui « menace à terme l’existence même du peuple français ». En clair, lutter contre l’immigration et le « grand remplacement », cette thèse popularisée par l’idéologue Renaud Camus et dont s’inspirent plusieurs terroristes d’extrême droite, dont Brenton Tarrant, l’auteur de la tuerie de Christchurch, en 2019.

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François Debras, docteur en sciences politiques et sociales, écrivait en 2023 que « la théorie du “grand remplacement” est l’un des sujets évoqués par ces partis qui affirment qu’avec un taux de natalité inférieur à celui des immigrés, la population chrétienne blanche d’Europe est menacée d’extinction ». Il ajoutait que « les partis d’extrême droite promeuvent donc des politiques de natalité et s’opposent aux mariages homosexuels ou aux projets de loi relatifs à l’avortement qu’ils considèrent comme des menaces pour la “famille traditionnelle” ou l’“ordre naturel” ».

Ces politiques natalistes sont dans les tuyaux de l’extrême droite depuis plusieurs décennies. Elles étaient déjà présentes dans les programmes présidentiels de Jean-Marie Le Pen.

Une critique acharnée des « No Kids »

Cette obsession pour la natalité se retrouve donc chez le milliardaire Stérin. Lou Média en fait par exemple son fer de lance : il a publié en février une interview de la rédactrice en chef de la rubrique « Opinions » du Journal du dimanche, Aziliz Le Corre, dans laquelle la journaliste répond aux arguments de femmes ayant « peur » de faire un enfant et les y encourage même. Elle a sorti en octobre 2024 un livre, L’enfant est l’avenir de l’homme, où elle donne sa « réponse d’une mère à la génération “No Kids” » (« Pas d’enfant »).

La ligne anti-avortement est bien assumée dans les médias Bolloré.

Pourfendeuse de celles (et ceux) refusant d’avoir un enfant, notamment pour des raisons écologiques, « Aziliz Le Corre prouve […] qu’il est possible et nécessaire de donner naissance dans un monde en crises », écrivait Le JDNews, détenu aussi par Vincent Bolloré, au sujet du livre. La journaliste est aussi allée faire la promotion de son livre dans le magazine d’extrême droite L’Incorrectfinancé par Pierre-Édouard Stérin –, ainsi qu’au Figaro et à CNews. L’autrice fait d’ailleurs partie des animatrices du « Sommet des Libertés », un événement organisé par Bolloré et Stérin, mardi 24 juin.

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La première chaîne d’information en continu de France aborde régulièrement ce sujet sur son antenne, jusqu’à y dédier une page sur son site web, où de nombreuses initiatives pour relancer la natalité sont présentées. Plusieurs invité·es de la chaîne sur le sujet – tous·tes plus polémiques les un·es que les autres – sont régulièrement venu·es défendre la naissance d’enfants : « Il n’y aura pas de retraites si la natalité poursuit sa chute », disait en janvier la militante du Syndicat de la famille (anciennement la Manif pour tous) Ludovine de La Rochère.

Le collectif Némésis – et sa directrice Alice Cordier – est lui aussi souvent passé par CNews pour y promouvoir sa vision raciste du féminisme.

L’avortement pourfendu sur CNews

Le milliardaire breton et propriétaire du groupe Lagardère a lui-même partagé sa vision de l’avortement, en mars 2024, lors d’une audition à l’Assemblée nationale, en évoquant celui de son ex-femme : « Il n’y a pas un jour où je ne pense pas à cette vie que j’ai contribué à supprimer. »

Alors que Vincent Bolloré réfute tout « projet idéologique », cette position du milliardaire – comme beaucoup d’autres – se transcrit dans la galaxie de médias qu’il détient. Le 25 février dernier, lors de l’émission « En quête d’esprit » sur CNews, le journaliste de la chaîne Aymeric Pourbaix s’est appuyé sur un visuel diffusé à l’antenne pour affirmer que l’avortement serait la première cause de mortalité dans le monde. Si Laurence Ferrari s’est excusée le lendemain, la ligne anti-avortement est bien assumée dans les médias Bolloré.

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Le même Aymeric Pourbaix travaille également pour l’hebdomadaire France Catholique, lui aussi propriété du milliardaire, et (très) ouvertement anti-avortement, en témoignent les titres des articles sur le sujet : « L’avortement, le Massacre des innocents des temps modernes », « Qui veut le massacre des innocents ? », « L’enfant à naître a des droits qu’il faut défendre »…

En mars 2024, le fondateur du Puy-du-Fou et homme politique d’extrême droite Philippe de Villiers a pu, lors d’une émission d’une heure lui étant consacrée – « Face à Philippe de Villiers » –, dérouler ses arguments contre la constitutionnalisation de l’IVG. Elle constituerait selon lui « la fin du serment d’Hippocrate : “Tu ne tueras pas” » et « la fin de la liberté d’expression ». « Au lieu de tourner la Constitution vers la vie, on la tourne vers ce qui suspend la vie », a-t-il ajouté.

Rappelons que Philippe de Villiers est un fervent pourfendeur de l’avortement depuis des années – comme l’indique son compte X –, et a par ailleurs prononcé un discours à la tribune de la Marche pour la vie en janvier dernier.

Un rapprochement entre IVG et aide à mourir

C8, elle aussi détenue par Bolloré, s’est prêtée au jeu des « pro-vie » le 28 février, lors de sa dernière soirée sur la TNT. La chaîne a rendu définitivement l’antenne en diffusant le film anti-avortement Unplanned, qui raconte l’histoire d’Abby, une ancienne directrice au Planning familial américain devenant peu à peu militante anti-IVG. Le film, en plus de culpabiliser les femmes qui pourraient y avoir recours, contient certaines approximations autour de l’avortement, notamment scientifiques, comme lors d’une scène où l’on voit un fœtus se débattre lors d’une IVG.

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Le Journal du dimanche, racheté par l’industriel breton en 2023, a lui aussi opéré un tournant vers les idées de droite et d’extrême droite. « IVG dans la Constitution : une liberté dévoyée pour justifier la mort » est le titre d’un article publié sur le site du journal, où l’évêque de Fréjus-Toulon Dominique Rey opère un rapprochement entre l’avortement et l’aide à mourir, récemment votée à l’Assemblée nationale : « N’y a-t-il pas dévoiement de la liberté quand celle-ci justifie la mort de l’enfant à naître ou la liquidation de la personne fragilisée par l’âge ou la maladie ! »

Lundi 16 juin, le Planning familial, qui s’occupe notamment d’informer et d’accompagner les femmes en matière de santé sexuelle, a dénoncé la baisse des subventions publiques, menaçant plusieurs centres locaux. Une nouvelle qui a dû satisfaire les ultrariches d’extrême droite dans leur fronde anti-avortement et pro-natalité.

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