Légion d’honneur pour Sophia Aram : l’islamophobie distinguée

La Légion d’honneur attribuée à Sophia Aram le 14 juillet incarne une dérive de cette distinction, désormais utilisée pour récompenser des voix qui stigmatisent les musulmans et dévalorisent les luttes antiracistes. En l’honorant, l’État légitime un discours d’exclusion et de division.

Pierre Jacquemain  • 15 juillet 2025
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Légion d’honneur pour Sophia Aram : l’islamophobie distinguée
© Montage : Maxime Sirvins

Il fut un temps – révolu semble-t-il – où la Légion d’honneur distinguait les grands serviteurs de la République, les figures d’engagement ou de création qui faisaient honneur à la France. C’était le sens originel de cette distinction – qu’on pourrait critiquer à bien des égards.

Aujourd’hui, elle honore Sophia Aram. Chroniqueuse à France Inter. Humoriste, ou plutôt éditorialiste du ressentiment. L’annonce de sa nomination à la Légion d’honneur ne relève pas de l’anecdote. Elle est profondément politique. Car cette décoration symbolise bien davantage qu’une simple reconnaissance de carrière : elle décore un discours, une posture, un imaginaire. Elle décore une manière d’humilier, de stigmatiser et de caricaturer une partie du peuple, de mépriser les musulmans de France et ceux qui, à gauche, osent les défendre.

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Aram n’a jamais caché sa détestation de tout ce que la gauche antiraciste incarne. Derrière le vernis de la laïcité brandi comme un gourdin, derrière la posture de la satiriste courageuse, il y a une haine de la gauche qui ne transige pas avec les droits, les dignités et les réalités vécues par les populations issues de l’immigration.

Derrière le vernis de la laïcité, il y a une haine de la gauche qui ne transige pas avec les droits.

Aram est cette figure médiatique qui, au nom du combat contre l’islamisme, amalgame, attaque, piétine – sans jamais risquer autre chose que les applaudissements de ses petits camarades du Printemps républicain et de Franc-Tireur. Elle est de ces voix qui ont troqué l’universalisme pour un humanisme de préfecture, triant les bons et les mauvais citoyens à l’aune de leur religion supposée.

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La critique de cette Légion d’honneur ne date pas d’hier. Blanche Gardin, lors des César, avait déjà moqué la distinction avec justesse : « La Légion d’honneur, c’est un peu comme une médaille pour avoir bien léché le pouvoir », avait-elle lancé. Cette médaille n’a plus rien d’un honneur. Elle est un geste d’allégeance. Une distribution à la tête du client, à condition de ne jamais trop bousculer l’ordre établi. La satire est permise, mais seulement lorsqu’elle vise les plus vulnérables.

Et Gardin ne s’est pas arrêtée là pour le compte d’Aram. Lors d’une soirée en soutien à Gaza, lorsque son acolyte du jour, Aymeric Lompret, lui suggérait de remonter sur scène, la réponse fut cinglante : « Ce serait trop de pression pour moi, il faudrait que j’aille chercher un Molière et je ne peux pas, il faudrait que je sois islamophobe, comme Sophia Aram », lui avait-elle répondu, faisant référence au Molière de l’humour que la chroniqueuse avait reçu en 2024.

Cette médaille n’a plus rien d’un honneur. Elle est un geste d’allégeance.

Finalement, ces récompenses, et singulièrement celle de la Légion d’honneur, sont celles des bons et loyaux services rendus à la doxa médiatique, à la stigmatisation ordinaire, à la laïcité d’exclusion. Parce que décorer Sophia Aram, c’est légitimer un discours qui ridiculise les quartiers populaires, disqualifie les luttes antiracistes et caricature toute critique du racisme d’État comme un « accommodement avec l’islamisme ».

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Alors non, ce n’est pas un détail. Ce n’est pas un symbole creux. C’est une ligne politique. Décorer Aram, c’est sanctuariser le mépris. C’est donner les clés de la République à celles et ceux qui en ferment les portes. Et, pendant ce temps, les militantes des quartiers, les éducateur·rices – allez, un peu d’écriture inclusive pour faire sourire Aram –, les infirmières, les profs sous-payés, les exilés qui sauvent des vies – qui sont aussi les cibles de l’humoriste sans humour –, les anonymes qui tiennent les murs de la solidarité et de la dignité, eux, attendent toujours qu’on leur dise merci.

Ça fait longtemps que la Légion d’honneur perd de sa noblesse. Avec Aram, elle confirme la transformation du graal archaïque en un outil de consolidation des hiérarchies sociales, au détriment des voix de l’égalité et de la justice sociale.

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