Pour renflouer les caisses, François Bayrou choisit les poches des Français
Face à la crise budgétaire, le premier ministre défend deux plans et des économies partout. La cure d’austérité de 43,8 milliards crispe toutes les oppositions qui évoquent déjà la censure.

© Thomas SAMSON / AFP
La saison 1 vient à peine de se clore. La saison 2 commence déjà. François Bayrou, ce premier ministre sans majorité, se sortira-t-il un jour de la très épineuse question du budget ? Le centriste de 74 ans cherche 40 milliards d’économies pour un projet de loi de finances (PLF) qui semble impossible à faire voter dans une Assemblée coupée en trois blocs. Dès son arrivée à l’hôtel de Matignon, il percevait l’« Himalaya budgétaire ». En sept mois, il n’a pas disparu.
Devant Bayrou, un mur de lignes rouges. La droite et les macronistes ne veulent pas entendre parler de hausses d’impôt, Emmanuel Macron souhaite 3,5 milliards d’efforts supplémentaires pour la défense en 2026, la gauche exige que la taxe Zucman soit intégrée au futur PLF, le Rassemblement national (RN) demande une baisse de la contribution au budget de l’Union européenne ou l’indexation des retraites sur l’inflation… L’espace politique du locataire de Matignon, avec sa très attendue copie budgétaire, est très étroit. Et l’avenir du Béarnais est plus menacé que jamais.
Pourtant, le locataire de Matignon ne semble pas désarmer. « J’ai choisi de vivre dans le risque. Je savais que c’était un sport extrême. Il faut dire la vérité. Je n’achèterai pas la paix au prix du mensonge, confiait-il au Point il y a quelques jours. Ce que je vais annoncer, personne n’a jamais osé le faire en France. Chacun prendra ses responsabilités, moi, je prends les miennes. » Il doit maintenant mettre fin au suspense.
Moment de vérité
Rendez-vous ce 15 juillet au 20, avenue de Ségur, dans le 7e arrondissement de Paris, une annexe de Matignon. Le même bâtiment où, il y a trois mois, l’ancien haut-commissaire au Plan organisait une grande conférence de presse d’environ 45 minutes aux allures de cours magistral sur l’état des finances publiques… sans annoncer la moindre mesure, si ce n’est le lancement d’un obscur « comité d’alerte » sur les finances publiques. « Il va essayer de maintenir une politique qui sévit en France depuis 2017 », estime Éric Coquerel, le président insoumis de la commission des Finances, quelques minutes avant le début de la conférence.
Nous nous attendions au pire. Et de toute évidence, le pire vient d’être annoncé aujourd’hui.
C. Arrighi
Sur le mur derrière la tribune et sur son pupitre, quatre mots : « Le moment de vérité ». Le ton est grave. « Il est des moments dans l’histoire des peuples où ils ont rendez-vous avec eux-mêmes. Et ce moment est un de ceux-là, lance d’emblée le premier ministre en montant à la tribune. Il ne s’agit plus de savoir seulement quelles sont nos exigences, quelles sont nos préférences, mais qui nous sommes. Quel peuple formons-nous ? À quoi ce peuple croit-il ? De quel ciment est-il soudé ? Et quelle part chacun de nous est-il prêt à prendre à notre avenir collectif ? »
Partant du constat que, depuis cinquante ans, aucun gouvernement n’a présenté un budget à l’équilibre et que la dette s’élève à plus de 3 300 milliards, le premier ministre veut mettre fin à cette spirale infernale, ce piège qui a entraîné la Grèce dans la crise financière il y a quelques années. Celui qui a fait de la dette le combat de sa vie, la plus importante des questions politiques et morales de la France, se montre alarmant.
« Être obligé d’emprunter tous les mois pour payer les retraites ou pour payer les salaires des fonctionnaires, c’est une malédiction qui n’a pas d’issue, affirme-t-il. Pendant longtemps, on ne voit pas le risque, on s’en accommode, on détourne les yeux. Et puis, un jour, on est rattrapé et on ne peut plus payer ce qu’on doit. Alors, c’est la crise, la vraie crise. »
Efforts pour tous
Mais heureusement le soldat Bayrou est là. Et pour trouver, selon ses derniers calculs, 43,8 milliards précisément, il n’a pas un plan… mais deux. D’abord, un plan « pour dire stop à la dette ». Ensuite, un plan « pour dire en avant la production ». L’objectif ? Ramener le déficit à 5,4 % en 2025, à 4,6 % en 2026 et à 2,8 % de PIB en 2029. « Nous ne pouvons plus ni éluder ni retarder cette menace. Il est tard mais il est encore temps », dit-il en fustigeant cette France devenue « accro » aux dépenses publiques, ce pays qui aurait les impôts et les prestations sociales les plus importantes de toute la planète, mais où le pessimisme régnerait en maître.
Dans le détail, le plan anti-dette du Béarnais annonce le non-remplacement d’un fonctionnaire sur trois partant à la retraite, la diminution des participations de l’État dans certaines entreprises, la suppression des « agences improductives », un effort de 5 milliards d’euros dans les dépenses de santé en ciblant des pratiques médicales répétitives, la consommation et le remboursement de certains médicaments, les arrêts maladie de longue durée…
Cerise sur le gâteau, Bayrou annonce également pour 2026 une « année blanche », ce procédé qui permet de maintenir les prestations sociales à leur niveau sans prendre en compte l’inflation. À un rythme lent, le locataire de Matignon enchaîne les propositions d’économie. La liste est longue et tout le monde devra payer.
Il va essayer de maintenir une politique qui sévit en France depuis 2017.
E. Coquerel
En échange de ces lourdes économies, François Bayrou veut se mettre à la chasse aux niches fiscales « inutiles et inefficaces », et annonce accentuer « la lutte contre la fraude ». Dans le viseur : la fraude fiscale, la fraude aux aides publiques, la fraude aux dépenses de santé. Un projet de loi sera d’ailleurs présenté à l’automne.
Plus floue est l’idée d’une « contribution de solidarité » visant les contribuables les plus aisés. François Bayrou n’en précise ni le seuil, ni le taux, ni l’assiette fiscale, se contentant de signaler que cette mesure ne sera pas une « nouvelle taxe sur les riches », mais une forme de « participation exceptionnelle » au redressement national. Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup, comme disait la grand-mère de Martine Aubry.
« Le pire vient d’être annoncé »
La présentation dépasse 45 minutes. Et comme si la cure d’austérité annoncée plus tôt n’était pas suffisante, Bayrou ne s’arrête pas là. Pour relancer la production française, il annonce la suppression de deux jours fériés en proposant le lundi de Pâques et le 8 mai. Pour que « toute la nation travaille plus », il veut lancer des négociations avec les syndicats et le patronat sur l’assurance-chômage, « dont beaucoup d’analyses indiquent qu’elle porte une responsabilité sur l’absence de reprise d’emploi ».
Mais, surtout, il désire s’attaquer, par ordonnances, à la simplification et rêve de mettre fin à ces normes « surtransposées, surabondantes, supplémentaires, les obligations bureaucratiques toujours plus pénalisantes, les absurdités de dossier ».
En guise de conclusion, le centriste se permet de citer Hannah Arendt et multiplie les phrases emphatiques pour justifier son action. Comme une tentative de conjurer un sort, le sien, celui d’un chef de gouvernement impuissant, incapable de mener sa propre initiative politique. Le référendum sur les finances publiques promis en mai n’a jamais vu le jour.
Tout comme ce débat sur « Qu’est-ce qu’être français ? » annoncé en février, cette idée de « banque de la démocratie » repoussée à l’automne ou le projet de proportionnelle remis à plus tard… « Tout concourt au fatalisme, à ce qu’on ne fasse rien, à ce qu’on décrète impossibles les changements nécessaires et qu’on laisse dériver les choses, dit-il. Notre gouvernement ne cherche pas à se préserver, il ne cherche pas à durer, il veut changer les choses, qu’importe le risque. »
Toutes ces propositions font peser le coup du redressement public sur les gens qui ont le moins.
P. Brun
À peine la conférence terminée, la patronne du RN, Marine Le Pen, menace de censurer Bayrou sur X : « Ce gouvernement préfère s’en prendre aux Français, les travailleurs et les retraités, plutôt que de faire la chasse aux gaspillages. » À l’Assemblée, la gauche se braque. « Le compte n’y est pas, lâche le député socialiste Philippe Brun. Toutes ces propositions font peser le coup du redressement public sur les gens qui ont le moins. » L’écolo Christine Arrighi est sur le même ton : « Nous nous attendions au pire. Et de toute évidence, le pire vient d’être annoncé aujourd’hui. » L’« Himalaya budgétaire » se dresse devant lui. Et cette fois, François Bayrou ne le gravira peut-être pas.
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