Les États-Unis, plus gendarmes du monde que jamais
Donald Trump manifeste son agacement face à Vladimir Poutine, mais ses menaces ont peu de chance d’impressionner l’autocrate de Moscou.
dans l’hebdo N° 1871 Acheter ce numéro

© ANDREW CABALLERO-REYNOLDS / AFP
Qui peut croire que les États-Unis ont renoncé à être les gendarmes du monde ? Ils le sont sans doute plus que jamais. C’est la méthode qui a changé. Les droits de douane ont remplacé les bombes. Mais si l’Amérique de Trump fait moins la guerre, elle sème la mort autrement. La génération qui avait dix-huit ou vingt ans en 1968 s’est construite contre la guerre américaine au Vietnam. Elle a détesté les États-Unis de Johnson et de Nixon, qui ne se cachaient pas de vouloir imposer leur loi sur toute la planète. Le délinquant était le « communiste ». On le voyait partout, et ce sont les populations civiles que l’on massacrait. Le napalm, My Laï…
Trump lâche-t-il son ami avec qui il partage une vision ultra-réactionnaire de la société, et une haine de l’Europe ?
Le naturel est revenu au galop en 2001 et 2003 avec George W. Bush, en Afghanistan et en Irak. Le gendarme prétendait redessiner le Moyen-Orient. Avec Donald Trump, on nous promettait que tout allait changer. On le disait isolationniste. L’Amérique allait se retirer sur son Aventin. On n’avait pas prévu que le ressac allait être un tsunami. Car le gendarme est toujours là, omnipotent. C’est désormais l’humeur d’un homme qui préside. On veut croire que ses exaspérations peuvent parfois avoir du bon. Ses déclarations, ce 14 juillet, devant le secrétaire général de l’Otan, Mark Rutte, pourraient le laisser penser. Gardons-nous d’être trop naïfs.
En sommant Poutine de mettre fin à la guerre dans 50 jours,Trump lâche-t-il son ami avec qui il partage une vision ultra-réactionnaire de la société, et une haine de l’Europe qui incarne à leurs yeux une détestable modernité ? Pas si sûr. Pourquoi accorder au dictateur russe 50 jours pour faire taire les armes ? Voilà qui laisse beaucoup de temps à Poutine pour intensifier son offensive dans un contexte militaire déjà très favorable. Et le mécanisme de l’aide laisse également perplexe. Plusieurs pays européens achèteraient des armes aux États-Unis sous la couverture de l’Otan pour les livrer ensuite à l’Ukraine.
Trump réinvente un droit d’ingérence à sa guise, pour les plus mauvaises causes.
Trump se frotte les mains. « C’est une très grosse affaire que nous avons conclue, s’est-il vanté, des équipements militaires d’une valeur de plusieurs milliards de dollars vont être achetés aux États-Unis, aller à l’Otan, et seront rapidement distribués sur le champ de bataille. » L’industrie de guerre états-unienne en tirera des profits gigantesques. Et, last but not least, l’Europe en tant que telle passe à la trappe, se soumettant une nouvelle fois au grand parrain américain. Reste à savoir si cette opération est de nature à impressionner Vladimir Poutine. Trump lui donne du temps. Et il menace d’augmentation de taxes douanières les acheteurs d’hydrocarbure russe. La Chine et l’Inde, qui sont déjà dans le collimateur américain, mais aussi la France (1).
Selon l’Institut pour l’économie de l’énergie et l’analyse financière (IEEFA), l’Hexagone a augmenté de 81 % ses importations de GNL russe entre 2023 et 2024, et versé 2,68 milliards d’euros à la Russie.
Gendarme du monde pour les plus mauvaises causes, l’Amérique de Trump ne rompt pas avec son histoire. Pire, elle abandonne les pays les plus pauvres d’Afrique et d’Asie aux pandémies. La revue The Lancet évalue à seize millions le nombre de victimes du sida et de malaria qui devrait résulter du retrait de l’Usaid. Les bombes n’auraient pas fait pire. Mais voilà que le gendarme Trump franchit un pas de plus. Il réinvente un droit d’ingérence à sa guise, pour les plus mauvaises causes. Il somme la justice israélienne de renoncer à ses poursuites à l’encontre de Benyamin Netanyahou. Et il porte l’augmentation des droits de douane à 50 % pour les produits en provenance du Brésil, non pour rétablir on ne sait quel équilibre commercial, mais pour imposer à la justice brésilienne de lever ses poursuites à l’encontre du fasciste Jair Bolsonaro, inculpé de tentative de coup d’État.
L’opération Condor, par laquelle la CIA traquait les opposants aux dictatures latino-américaines dans les années 1970, n’est pas loin ! Rappelons aussi que le procureur de la Cour pénale internationale, Karim Khan, est persona non grata aux États-Unis depuis qu’il a lancé un mandat d’arrêt contre Benyamin Netanyahou. Et les mêmes dispositions frappent désormais l’envoyée spéciale de l’ONU pour les Territoires palestiniens, Francesca Albanese, qui ose parler de génocide à Gaza. Ce que Trump a qualifié d’« antisémitisme virulent » et de « soutien au terrorisme ».
Le gendarme du monde, ce n’est plus l’Amérique, c’est Trump lui-même
En vérité, le gendarme du monde, ce n’est plus l’Amérique, c’est Trump lui-même. Nous sommes moins en géostratégie qu’en psychopathologie. Et ce n’est pas rassurant. Il tance Poutine mais ne le combat pas. Nul ne sait comment le président russe peut réagir. Il a 50 jours pour en finir avec l’Ukraine. Mais que se passera-t-il si Poutine n’obtempère pas ? Rien sans doute.
Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.
Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.
Faire Un DonPour aller plus loin…

Russie, Gaza : propagandes meurtrières

Netanyahou-Trump, duo infernal

Après l’Iran, retour à Gaza
