Signes de détresse

À Toulouse, l’École de théâtre universelle – qui propose une formation spécifique pour des personnes sourdes en voie de professionnalisation – se trouve dans une situation précaire en raison d’un vide juridique et d’un financement public défaillant.

Jérôme Provençal  • 16 juillet 2025 abonné·es
Signes de détresse
La troisième promotion de l’École de théâtre universelle.
© Martin Cros

Le 11 février 2005 a été marqué en France par l’adoption de la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes en situation de handicap. Celle-ci reconnaît la langue des signes française comme une langue à part entière et assure que « tout élève concerné doit pouvoir recevoir un enseignement [de cette langue] ».

En outre, elle garantit « le droit à la participation des personnes handicapées à tous les aspects de la vie publique, sociale, culturelle, économique et politique ». Promulguée en juillet 2016, la loi dite LCAP a renforcé ce cadre législatif. Dans son article 5, elle précise que « toute personne […] a le droit d’accéder et de participer librement à la vie culturelle à travers les activités de son choix ».

Pourtant, à cette époque, il n’était pas possible pour une personne sourde d’entrer dans une école de théâtre ou de suivre une formation professionnelle de comédien·ne. Ayant auparavant déjà animé des ateliers pour personnes sourdes au théâtre du Grand Rond, à Toulouse, Martin Cros – comédien sourd – et Alexandre Bernhardt – comédien entendant qui jongle entre français et langue des signes – ont décidé de se mobiliser pour remédier à ce problème, vécu comme une injustice par la communauté sourde.

Puissance

Soutenue par l’équipe du théâtre du Grand Rond, leur initiative a donné naissance en 2018 à l’École de théâtre universelle (ETU), qui dispense une formation théâtrale professionnelle en langue des signes à l’attention des artistes sourds et sourdes. « L’enseignement comprend des modules théoriques et administratifs, mais c’est avant tout la langue des signes, avec sa poésie propre et sa puissance expressive au plateau, qui est transmise dans le cadre de la formation », souligne Océane Bretin, chargée de mission à l’ETU.

D’abord inscrite au sein de ­l’Université Toulouse Jean-­Jaurès, l’ETU s’est émancipée pour devenir une structure associative autonome en 2022, année où elle a obtenu la certification Qualiopi – qui atteste la qualité des organismes de formation et leur ouvre l’accès à des fonds publics. Jusqu’à présent, malgré les lois de 2005 et de 2016, cette école unique en France n’a pu entrer dans aucun dispositif public existant lui permettant de proposer aux élèves des tarifs abordables.

Boucle visieuse

De 2022 à 2024, elle a réussi à mettre en place de tels tarifs grâce à un financement de France Travail (via son dispositif général d’aides à la formation), complété par un financement de l’Agefiph (1). Las, en juin 2024, ­l’Agefiph a annoncé l’arrêt de son aide, arguant vouloir désormais orienter ses fonds avant tout vers la compensation des conséquences du handicap. Or, l’ETU étant par nature totalement accessible aux personnes en situation de handicap, il n’y a pas de compensation à financer : la boucle vicieuse est bouclée. En conséquence, la session 2024-2025 a dû être annulée.

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Association pour la gestion des fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées.

Depuis mai 2025, l’École de théâtre universelle est intégrée au pôle de formation professionnelle du théâtre du Grand Rond – ce qui entraîne une synergie salutaire de moyens matériels et humains. Une session 2025-2026 est programmée mais ses conditions de réalisation restent incertaines : en effet, à la suite des coupes budgétaires au niveau de l’État, France Travail pourrait diviser son aide par deux, voire la supprimer.

 Si on arrive finalement à trouver une solution, on pourra se dire qu’il y a là quelque chose d’assez sain. 

Le 28 mai dernier, un courrier officiel a été adressé à des responsables politiques (ministres, député·es, sénateurs et sénatrices) pour les alerter quant à la menace pesant sur l’ETU. « Ce courrier a suscité des réactions positives, il a ouvert des pistes, mais il n’a rien enclenché de concret pour le moment », constate Océane Bretin.

« Si on arrive finalement à trouver une solution, on pourra se dire qu’il y a là quelque chose d’assez sain : une forme de reconnaissance d’une initiative de terrain, liée à des lois », positive Éric Vanelle, cofondateur du Grand Rond et responsable du développement, alors que le théâtre traverse lui-même une phase critique, par manque de subventions, au point qu’il devra peut-être baisser le rideau en fin de saison 2026. À suivre, donc.

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Politique culturelle
Temps de lecture : 4 minutes

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