Brésil : la rue en éruption contre les députés
Dimanche 21 septembre, des centaines de milliers de manifestant·es sont descendu·es dans la rue pour crier leur colère contre une loi votée par les député·es, organisant leur quasi immunité, et contre un projet visant à amnistier Bolsonaro.

© Pablo PORCIUNCULA / AFP
La réaction de l’extrême-droite et des conservateurs n’a pas tardé : cinq jours à peine après la condamnation de Bolsonaro à 27 ans de prison pour tentative de coup d’État pour se maintenir au pouvoir après sa défaite face à Lula en 2022, les député·es a adopté une proposition de loi émanant de leurs rangs, dite « du blindage ».
Au prétexte de les protéger contre les abus judiciaires, elle soumettrait toute poursuite les visant à l’accord du Parlement, et par un vote secret. Dans le même élan, les député·es ont signifié leur volonté d’aboutir « en urgence » à une loi d’amnistie destiné à absoudre Bolsonaro.
Pour cela, les bancs d’extrême-droite et des conservateurs ont dû rallier le grand centre mou de la chambre basse, bien aidés par le revirement son président Hugo Motta, qui a finalement décidé de l’examen des deux textes.
Panique chez ces parlementaires ? On peut le penser. Alors que nombre d’entre eux traînent des affaires de corruption, ils ont tout à redouter de la récente démonstration d’indépendance de la justice brésilienne, dont le bras n’a pas flanché à l’heure de condamner l’ex-président de la République, mais aussi plusieurs haut gradés — une première au Brésil.
Des centaines de milliers de personnes ont manifesté dans toutes les grandes villes du pays.
Le pays est coutumier de telles « fantaisies » législatives, dans des assemblées où la quête de majorité gouvernementale est régulièrement sujette à des alliances contre nature. Mais cette fois-ci, le vase a débordé. Dimanche 21 septembre, des centaines de milliers de personnes ont manifesté dans toutes les grandes villes du pays, aux cris de « non à la loi du banditisme », « non à l’amnistie », la plus ample protestation depuis les revendications de 2013 contre la vie chère.
Réponse populaire
Il est notable que l’appel à descendre dans la rue soit venu d’artistes, en premier lieu de l’actrice Paula Lavigne et de Caetano Veloso. Le chanteur a été rejoint par les non moins célèbres Gilberto Gil et Chico Buarque. Eux qui ont connu la prison ou l’exil pendant la dictature n’ont pas manqué de jouer certains de leurs titres datant de cette époque lors d’un concert donné devant 41 000 personnes sur la plage de Copacabana, à Rio. Plus marquantes peut-être, les interventions d’artistes très populaires auprès des jeunes, notamment dans les banlieues et les favelas, où l’on est bien moins politisé que le public de gauche des trois vétérans octogénaires.
Le rappeur Emicida harangue une énorme foule sur l’avenue Paulista, à São Paulo. « Nous descendrons dans la rue autant de fois qu’il le faudra pour défendre nos droits, notre peuple, la dignité, l’écologie ! » La chanteuse Anitta, une sorte de Taylor Swift à la brésilienne, fait de la pédagogie auprès de ses fans. « Imaginez que votre fille soit agressée sexuellement, voire tuée, et que le responsable soit un député ; vous saisissez la justice, et là, le choc… Il ne pourra pas être poursuivi pour son crime sans que ses collègues en ait donné l’autorisation ! »
Autre mesure de l’ampleur de la mobilisation : l’indignation, mais aussi l’allégresse devant la réponse populaire ont saturé les réseaux sociaux, « la véritable arène politique du Brésil » juge le journaliste Ricardo Mello, qui la décrypte assidument.
Résistance démocratique
La loi indigne n’a cependant guère de perspective : elle doit passer dès mercredi devant le Sénat, qui lui est majoritairement hostile. Au besoin, le président Lula y mettrait son veto. Aussi, au-delà du contre-feu ponctuel qu’elle a allumé, la mobilisation de dimanche marque-t-elle un début de campagne présidentielle, dont le scrutin se tiendra dans un an. À ce titre, l’ingérence de Trump, qui a pris lundi de nouvelles sanctions contre les proches des juges qui ont condamné Bolsonaro, se montre de plus en plus contre-productive.
Plus qu’une faute de goût, un faux pas politique dans ce pays au nationalisme susceptible.
Le 7 septembre, jour de la fête nationale brésilienne, les soutiens de l’ex-président condamné avaient défilé sur l’avenue Paulista en brandissant un énorme drapeau étasunien. Plus qu’une faute de goût, un faux pas politique dans ce pays au nationalisme susceptible, et qui a ému jusque dans les rangs bolsonaristes. Dimanche, les manifestants démocrates et de gauche ont eu l’astuce de faire défiler, au même endroit, un non moins gigantesque drapeau brésilien, symbole de ralliement jusqu’alors confisqué par la droite.
Le message est clair : les vrais patriotes, c’est nous, et pas ceux qui veulent vassaliser le pays. Pour enfoncer le clou, la justice brésilienne a inculpé dès lundi Eduardo Bolsonaro, qui se verrait bien candidat à la présidentielle de 2026. Exilé aux États-Unis, il est accusé d’avoir fait obstacle au procès de son père en y menant une intense campagne afin d’obtenir, et avec succès, des sanctions contre les autorités brésiliennes.
Le Brésil et sa population continuent donc de donner des exemples de résistance démocratique face aux dérives d’extrême-droite. On ferait bien de s’en inspirer, ici ou là. En France, où le Rassemblement national semble de plus en plus proche du pouvoir, comment ne pas voir un reflet des turpitudes bolsonaristes dans le projet du parti d’extrême-droite de faire passer une loi d’amnistie qui laverait Marine Le Pen de sa condamnation à cinq ans d’inéligibilité pour détournement de fonds publics ?
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