« Kontinental ’25 », mauvaise conscience

Radu Jude met en scène une huissière effectuant une expulsion tragique.

Christophe Kantcheff  • 23 septembre 2025 abonné·es
« Kontinental ’25 », mauvaise conscience
Le « salut » d’Orsolya est loin d’être à la hauteur de celui du personnage interprété par Ingrid Bergman chez Rossellini.
© Météore Films

Kontinental ’25 / Radu Jude / 1 h 49.

La parole a une importance particulière dans les films de Radu Jude. C’est à nouveau le cas dans Kontinental ’25, filmé avec un iPhone, en plans fixes, où la plupart du temps deux personnages – dont la protagoniste, Orsolya (Eszter Tompa) – sont plongés dans de longues discussions. C’est pourquoi l’ouverture du film, presque totalement muette, n’est pas anodine.

On y voit un homme quasi clochard ramasser dans la nature des canettes ou des bouteilles vides, manger ce qu’il trouve et faire la manche aux terrasses des cafés. Traversant un bois, il passe à côté de dinosaures animatroniques, ce qui suggère une époque d’avant le langage articulé. Or, quand il n’est pas silencieux, cet homme marmonne, essentiellement des injures. C’est dire l’état de déréliction dans lequel il se trouve.

La parole revient quand Orsolya, qui est huissière, accompagnée de gendarmes, exige que l’homme obéisse à l’ordre d’expulsion de son minuscule taudis. Mais quand elle est de retour vingt minutes plus tard, il est mort : pendu à un radiateur. Dès lors, il va en falloir des mots à Orsolya pour tenter d’expier son sentiment de culpabilité ! Elle est pourtant convaincue de ne pas être juridiquement responsable, d’autant que ses instances supérieures s’empressent de le lui dire – le cynisme est l’autre face de la lâcheté. Mais, humainement, c’est une autre histoire. Alors Orsolya pleure. Petit à petit, ses sanglots vont se doubler de pleurs sur elle-même.

Marchés mortifères

Parce que, dit-elle, elle aurait dû se rendre compte du dénuement de l’homme – pourtant évident. Parce que des sites nationalistes et xénophobes la traitent de meurtrière à cause de ses origines hongroises. Parce qu’Orsolya a conscience d’avoir été l’agente d’une expulsion ordonnée par une société aux mains d’anciens membres corrompus de la police politique transformant les lieux en hôtels de luxe.

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« Les promoteurs immobiliers dirigent la Roumanie », dit-elle. La ville où l’action se déroule, Cluj, est particulièrement la proie de ces marchés mortifères, la caméra de Radu Jude s’attardant sur nombre d’immeubles ostensiblement neufs qui témoignent du capitalisme sauvage en vigueur.

Radu Jude revendique l’inspiration d’Europe 51 (dont l’affiche est visible dans un plan), d’où le titre : Kontinental ’25. Autre temps, autres mœurs. Le « salut » d’Orsolya est loin d’être à la hauteur de celui du personnage interprété par Ingrid Bergman chez Rossellini. Chiche (la charité humanitaire) ou réchauffé (la religion), il est à l’image d’une époque d’impuissance et de résignation.

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Cinéma
Temps de lecture : 2 minutes