Comment la Macronie joue avec les marchés pour mieux s’imposer
En tenant un discours catastrophiste, puis en annonçant un vote de confiance à quatre jours du rendu de la note de la France par l’agence Fitch, l’actuel premier ministre joue avec les citoyens en créant le risque que les marchés financiers s’affolent.

© Dimitar DILKOFF / AFP
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Les marchés financiers ne servent pas l’intérêt général « Il faut instaurer un rapport de force citoyen avec les marchés financiers »Au crépuscule de l’été, la prise de parole de François Bayrou a fait l’effet d’un électrochoc. Le premier ministre annonce, sur un ton sacrificiel, qu’il mettra son poste – et, avec, son gouvernement – en jeu lors d’un vote de confiance devant les parlementaires le 8 septembre. Une échéance particulièrement rapide alors qu’on imaginait les débats budgétaires s’enliser tout au long de l’automne. Vite, le choix du 8 septembre est analysé comme un moyen de couper l’herbe sous le pied du mouvement, né sur les réseaux sociaux, qui menace de « tout bloquer » le 10 septembre.
Mais personne, ou presque, ne remarque que deux jours plus tard, le 12 septembre, l’agence de notation Fitch doit rendre de nouveau son verdict sur la note souveraine de la France. Et que tout porte à croire qu’elle va, encore, la dégrader. Un camouflet pour Emmanuel Macron et ses gouvernements. Mais surtout une opportunité de poursuivre sa politique encore plus austéritaire. Un paradoxe invisible mais bien réel.
En dramatisant la question de la dette, il fait tout pour créer un affolement des marchés.
D. Plihon
Pour le comprendre, il faut déjà se pencher sur ce que représentent les agences de notation. Aujourd’hui, il en existe une pelletée mais trois d’entre elles détiennent la quasi-totalité du marché. Leur nom est assez connu, pour revenir régulièrement dans le débat public à chaque nouvelle attribution de la note française : Standard & Poor’s, Moody’s, et Fitch. On les surnomme le « Big Three ». Leur activité est assez simple à comprendre : elles attribuent des notes aux émetteurs de dette. Plus la note est élevée, plus l’émetteur est réputé solvable et fiable. Et inversement. Elles représentent ainsi une boussole pour les investisseurs.
« Assainissement budgétaire »
Après la Seconde Guerre mondiale, celles-ci notent essentiellement des émetteurs de dettes privés et des collectivités territoriales américaines. « Jusqu’aux années quatre-vingt, il n’y avait que peu d’États qui étaient notés, car ceux-ci n’émettaient que peu d’obligations [les titres de dette, N.D.L.R.] », explique Norbert Gaillard, économiste et auteur de Les agences de notation (La Découverte, 2022). Suite à la crise pétrolière des années soixante-dix, les États décident de s’endetter pour continuer à se financer. Et donc d’émettre massivement des obligations. Les agences de notation se mettent alors à noter la solvabilité des pays.
Le mécanisme est alors le même que pour de la dette privée. Les agences attribuent une « note souveraine » à chaque État et les investisseurs en font un de leurs indicateurs phares pour juger du risque – et donc du taux d’intérêt notamment – de prêter au pays en question. Historiquement, la France possède une excellente note. En 2010, celle-ci était notée AAA, soit la meilleure possible, par les trois agences du « Big three ». Quinze ans plus tard, celle-ci a été abaissée de trois crans.
Or, tout semble indiquer qu’elle devrait encore baisser dans les prochains jours. En effet, Fitch doit rendre son verdict le 12 septembre. En mars dernier, lorsque l’agence avait décidé de maintenir sa note, elle avait donné une « perspective négative », expliquant ce qui pourrait l’amener à passer de AA- à A. Et notamment, « [l’]incapacité à mettre en œuvre un plan crédible d’assainissement budgétaire à moyen terme, par exemple en raison de l’opposition politique ou de pressions sociales ».
En annonçant un plan budgétaire d’une austérité rare, François Bayrou s’est garanti que ces deux derniers éléments seraient regroupés : une colère sociale, et une forte opposition politique.
Pis, en mettant en jeu son gouvernement le 8 septembre et en tenant un discours particulièrement catastrophiste sur l’état des finances publiques, le premier ministre crée de la tension sur les marchés financiers. Ainsi, depuis son annonce le 25 août, le taux d’intérêt de la dette française à échéance 30 ans a dépassé les 4,5 %.
Un record depuis 2011 et la crise des dettes souveraines. « Je suis atterré par le comportement du gouvernement et notamment du premier ministre, souffle Dominique Plihon, professeur émérite à l’université Sorbonne Paris Nord, et membre du conseil scientifique d’Attac, en dramatisant la question de la dette, il fait tout pour créer un affolement des marchés et donc une hausse des taux ».
Outre l’instabilité politique, c’est aussi, et surtout, l’éventualité que la France sorte de l’orthodoxie budgétaire qui inquiète les agences de notation et les marchés financiers. « Ce qui pourrait véritablement provoquer un décrochage de la France sur les marchés, ce n’est pas tant l’instabilité parlementaire qu’une subversion sociale accompagnée d’une décision politique explicite de rompre avec ‘l’ordre de la dette’ et ses injonctions », souligne Benjamin Lemoine, sociologue, chercheur au CNRS et auteur de La Démocratie disciplinée par la dette (La Découverte, 2022).
« Les agences de notation restent attachées à l’orthodoxie budgétaire, abonde Norbert Gaillard, elles considèrent qu’un État peut s’endetter, dès lors qu’il existe des perspectives de croissance forte et saine. Or, on pêche à convaincre des perspectives en termes de croissance comme en notre capacité à réduire notre déficit. »
Cette vision économique a, évidemment, des conséquences sur les politiques menées. « On a laissé des agences de notation privées avoir le pouvoir de décider ce qui est acceptable ou non pour les marchés financiers. On leur laisse faire la pluie et le beau temps alors que leur notation n’est absolument pas en fonction d’objectifs sociaux, climatiques et environnementaux, par exemple », dénonce Maxime Combes, économiste et membre d’Attac.
En ce sens, le comportement, ces derniers jours, de François Bayrou présente un double intérêt pour un pouvoir qui assume de protéger, quoi qu’il en coûte, les intérêts du capital : créer un stress sur la solvabilité française mais, également, préparer le terrain à un chantage à la dette encore plus important. Expliquons-nous : si le premier ministre tombe le 8 septembre, Fitch dégradera, très certainement, la note de la France.
Pas uniquement du fait de l’instabilité politique, mais aussi par peur de voir une politique contraire au néolibéralisme actuel advenir. L’enchaînement de ces deux évènements risque, forcément, d’avoir des effets sur les marchés financiers et, donc, sur les taux d’intérêt à 10 comme à 30 ans. Ce qui permettra à la Macronie d’augmenter la pression sur le chantage à la dette. « La dette est un moyen d’appliquer des politiques néolibérales encore plus dures », souligne Dominique Plihon.
Crier à la faillite
La réaction des marchés financiers est donc, sans doute, la variable la plus importante à suivre dans les prochains jours. À quel point ceux-ci s’affoleront ? Après l’annonce de la dissolution, en juin 2024, les taux avaient déjà bondi, sans pour autant s’envoler. Demeurant, donc, soutenable pour une économie comme la France. Certains prédisent un scénario à la grecque, où la dégradation importante de la note du pays avait plongé le pays dans la faillite.
Celui-ci reste toutefois, à ce jour, assez improbable : « Je n’y crois pas mais je peux me tromper. Nous avons une économie beaucoup plus saine à tout point de vue, sur le plan financier qu’il soit privé et public », souligne Dominique Plihon, prenant en exemple la capacité de l’État français à lever l’impôt. « Nous ne sommes pas la Grèce, loin de là. Il reste de l’épargne, d’importantes niches fiscales, etc. », abonde Norbert Gaillard.
La probabilité la plus forte est celle d’une démocratie durablement placée sous la tutelle exercée par des créanciers hybrides.
Benjamin Lemoine
Ces derniers jours, la France a ainsi réussi à lever sans aucun problème 11 milliards d’euros sur les marchés. Si le taux d’intérêt est élevé, cela démontre toutefois la confiance que continuent d’avoir les prêteurs en la solvabilité du pays. Et donc le caractère assez peu probable d’un « défaut brutal » selon les termes de Benjamin Lemoine. « La probabilité la plus forte n’est pas celle d’un défaut brutal mais d’une démocratie durablement placée sous la tutelle exercée par des créanciers hybrides – banques centrales et marchés de capitaux qui avancent de concert comme deux mâchoires d’un même étau. »
Une démocratie qui, au fil des élections, s’oppose toujours plus largement à la politique d’Emmanuel Macron et de ses gouvernements. Pour continuer à l’appliquer, il faut donc essayer de la rendre inéluctable. En criant à la faillite, François Bayrou – avec l’aval du chef de l’État – crée les conditions de possibilités d’une prophétie autoréalisatrice.
Au point que si son gouvernement s’abouse, lundi, cela ne pourrait être qu’une étape vers un budget encore plus austéritaire que celui annoncé le 15 juillet. Car la Macronie et les marchés partagent le même néolibéralisme idéologisé : pour réduire le déficit, cela ne peut passer que par une baisse des dépenses publiques. Une alliance en marche, au détriment de la démocratie.
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