Ma maternité en collectif
Pour sa première chronique humour dans Politis, Anne Dupin interroge la manière dont la PMA lui est apparue comme une expérience collective.

© JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP
J’ai l’immense joie de vous annoncer que je fais partie de la première fournée des bénéficiaires du full package de la loi bioéthique votée en 2021. Oui, je suis un peu le patient zéro, le pangolin de la PMA pour toutes. J’ai bénéficié des trois mesures phares : la possibilité de congeler ses ovocytes, l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes cis sans partenaire, et le droit pour l’enfant, à 18 ans, de connaître son donneur.
Je précise que les personnes trans, elles, restent exclues, et que c’est scandaleux. Je vous avoue qu’actuellement ma colère est émoussée par mes hormones : j’ai l’impression d’être en permanence sous 1/8 d’ecstasy, ou pire, d’avoir bu un Coca pas Zéro. On appelle ça « PMA en solo ».
En réalité, je n’ai jamais vécu une expérience aussi collective. La loi, d’abord : fruit d’un vote des députés. Pour une fois, je me suis sentie représentée. Des fois, ça me déprime un peu sur l’état du dating. Je les imagine : « Après avoir étudié Tinder, on a conclu qu’il fallait ouvrir la PMA aux célibataires. Comme dit l’adage : un tiens vaut mieux que deux mecs qui disent tu verras. »
Ensuite, j’ai congelé mes ovocytes. Attention, ce n’est pas un bébé garanti. Mais remboursée par la sécu, ma PMA devient un loto national : tout le monde a joué, on a gagné ! Du coup, qui s’occupe du baby-sitting ? Jour-J : transfert d’embryon. Toute une équipe médicale aux petits soins, trop heureuse que ça marche. Ce n’était plus une PMA, mais une partouze médicalement assistée, dans le consentement et la bonne humeur. Ensemble, on a fait la science.
Aujourd’hui, le sage-femme doit gérer les émotions de mes quatre ami·es présent·es. Avant, on allait voir des comédies romantiques, pas crédibles, de trois heures ; maintenant, le film, c’est la projection de mon utérus. Le climax ? Le dévoilement du deuxième tibiaaa du fœtus ! Les rares détracteurs me disent : « Sans homme ? » Je réponds : Non, merci au donneur. Recevoir son don, c’était comme toucher son premier chômage : « Quoi ? J’y ai droit ? C’est une dinguerie ! Du sperme comme ça, sans me le projeter dans les yeux ? En plus, sélectionné, millésimé ! »
Sauf si je rencontre quelqu’un qui a envie de devenir son parent, cet enfant n’aura pas de père. Comment le lui dire ? Je me demande surtout quand je vais lui révéler l’existence des pères. Je travaille en crèche et on les voit rarement. Le seul indice de leur existence : un enfant qui arrive en vêtements dépareillés. Au pire, je rebaptiserai mon chat « Papa ». – Où est Papa ? – Il fait la sieste et joue avec ses balles. Sur un malentendu, ça passe.
Avec mes ami·es, on prépare déjà mon post-partum, son éducation. Les gens s’étonnent : « Tu as de sacré·es ami·es ! » Disons que j’ai préféré investir dans des amitiés solides que dans des masculinités fragiles. Après, je précise que j’ai un ami homme, même plusieurs dans la team. Parfois, je me dis que je sers peut-être le dessein du « grand réarmement démographique ».
Mais, à mon niveau, cette loi votée par une assemblée de droite est mon plus grand bonheur. Comment vivre avec ce paradoxe ? De plus, dans les milieux de lutte écologique, il y a un consensus sur le fait que la transition ne se fera pas sans l’outil politique. Avoir vu une réalisation concrète de cet outil sur ma petite personne me remplit d’espoir. Pardonnez ma naïveté, mais je viens de le sentir bouger : je suis en 1/4 d’ecsta. Est-ce que tout ça va rester collectif après la naissance ? Verdict en février. À suivre sur mon Insta.
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