Aux États-Unis, Donald Trump répand la peur des antifas

En septembre, le président américain a qualifié le mouvement antifasciste d’organisation terroriste. Son positionnement est une escalade de plus en plus menaçante dans la bataille menée contre les militants de gauche du pays.

Edward Maille  • 29 octobre 2025 abonné·es
Aux États-Unis, Donald Trump répand la peur des antifas
Costumes cocasses mais combat sérieux le 18 octobre 2025 à Portland.
© Mathieu Lewis-Rolland / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Les manifestants de Portland ne manquent pas d’humour. En réponses aux affirmations de Donald Trump selon lesquelles la ville serait une « zone de guerre », menacée par les « antifas », abréviation d’antifascistes, quelques militants ont endossé des costumes gonflables de T-Rex, de grenouilles ou d’autres animaux. Sur les vidéos diffusées en ligne et par des médias, ils sont vus en train de danser lors des manifestations contre la police de l’immigration (ICE), contredisant les déclarations apocalyptiques du locataire de la Maison Blanche.

De nombreux rassemblements contre ces opérations menées pour arrêter les migrants ont eu lieu ces dernières semaines, à Portland (Oregon) comme à Chicago et dans sa banlieue (Illinois). Certains se sont terminés par des dispersions avec des gaz lacrymogènes.

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Mais l’allure cocasse des accoutrements des militants ne doit pas cacher la réalité de l’escalade menée depuis plusieurs semaines par Donald Trump. Le président a désigné le mouvement antifasciste comme une organisation terroriste. Qualifié de « militariste » et « anarchiste », ce mouvement appellerait « explicitement au renversement du gouvernement des États-Unis », selon un décret présidentiel signé le 22 septembre.

Parmi les faits reprochés : des « efforts coordonnés pour entraver l’application des lois fédérales par des affrontements armés avec les forces de l’ordre, des émeutes organisées, des agressions violentes contre les agents de l’immigration et des douanes ainsi que d’autres membres des forces de l’ordre. »

Le mouvement antifa, à la différence des autres organisations catégorisées comme terroristes par Washington, n’appartient pas à une organisation structurée. Le terme sert la rhétorique du président contre les militants de gauche et d’extrême gauche, accusés par une partie de la droite américaine d’être responsables de l’augmentation de la violence politique dans le pays. La Maison Blanche a appuyé ses propos en citant pêle-mêle différents exemples d’attaques, même si aucune preuve ne permet de relier leurs auteurs à une même structure.

Recours à l’armée

Jeudi 16 octobre, la justice fédérale a inculpé deux hommes pour terrorisme en les présentant comme des antifas. Ils sont accusés d’avoir participé à l’attaque d’un centre de détention de la police de l’immigration à Alvarado (Texas) en juillet. Ce discours contre le supposé chaos provoqué par les antifascistes lors des manifestations contre l’ICE a également donné au président une légitimité, à ses yeux, pour envoyer la garde nationale dans plusieurs villes du pays.

Depuis le mois de juin, les forces mili­taires ont été déployées à Los Angeles, Memphis, Washington D.C., Chicago et Portland pour des motifs de sécurité. Début octobre, un juge fédéral a temporairement bloqué l’envoi des troupes dans l’Oregon. Leur déploiement est désormais au cœur d’une importante bataille judiciaire, autorisant puis annulant cette mesure.

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Outre le danger lié à l’utilisation de l’armée pour des opérations de maintien de l’ordre, auxquelles les soldats ne sont pas formés, les mesures prises par le président présentent d’importants risques de représailles contre des militants de gauche, qu’ils soient des manifestants ou qu’ils participent à des opérations de désobéissance civile.

La liberté d’expression, pourtant si chère aux Américains et dont les Républicains se veulent les parangons, est elle aussi menacée. Dans un mémorandum du 25 septembre destiné à donner des consignes à l’administration publique, Donald Trump estime que « les fils conducteurs qui animent cette conduite violente incluent l’anti-américanisme, l’anticapitalisme et l’antichristianisme ; le soutien au renversement du gouvernement des États-Unis ; l’extrémisme en matière d’immigration, de race et de genre ; et une hostilité envers ceux qui sont attachés aux valeurs américaines traditionnelles liées à la famille, à la religion et à la moralité ».

Acheter un sandwich pour un militant pourrait être considéré comme un soutien matériel au terrorisme.

L’ampleur des points de vue personnels désignés comme pouvant appartenir au mouvement antifasciste pourrait avoir d’importantes conséquences juridiques. La qualification du mouvement comme terroriste permet de poursuivre en justice des personnes accusées d’avoir apporté un soutien matériel à ces actes désormais considérés comme terroristes.

« Le risque d’abus est particulièrement élevé car, selon la législation sur le soutien matériel, toute aide – même sans intention de favoriser la violence – suffit à encourir une lourde peine de ­prison, a écrit une des directrices de l’organisation progressiste Brennan Center for Justice, Faiza Patel, dans un article publié sur le site de l’organisme. Les conséquences d’une telle application sont immenses : des actes comme acheter un sandwich pour un militant, héberger un manifestant une nuit sur son canapé ou prêter un ordinateur pour imprimer des tracts critiques envers la politique du gouvernement pourraient tous être considérés comme un soutien matériel [au terrorisme]. »

Vers une campagne de persécution

La bataille des conservateurs américains contre l’antifascisme n’est pas nouvelle. Pendant son premier mandat, Donald Trump menaçait déjà de désigner la mouvance antifa comme une organisation terroriste, notamment après les manifestations Black Lives Matter et les révoltes liées à la mort de George Floyd en 2020.

Mais cette lutte au nom de l’antifascisme a pris plus de visibilité médiatique à partir de 2017. En août de cette année-là, des centaines de militants d’extrême droite radicale organisaient la manifestation « Unite the Right », à Charlottesville (Virginie), où des affrontements ont éclaté avec des manifestants venus répondre aux suprémacistes blancs. L’un des suprémacistes blancs a fini par foncer dans la foule avec son véhicule, tuant une femme. La même année, une manifestation à Berkeley (Californie) a donné lieu à des affrontements entre antifascistes et militants d’extrême droite radicale.

Le département de la Justice a retiré de son site un rapport révélant que l’extrême droite était responsable de plus de violences que l’extrême gauche.

Les antifas ont progressivement été désignés par la droite américaine comme les responsables de troubles à l’ordre public. Mais l’engrenage enclenché par Donald Trump marque une nouvelle étape. « Cette panique anti-antifa grandissante en 2025 donne l’impression qu’elle pourrait se transformer en une véritable campagne de persécution incontrôlée – une répression d’État qui ne se limiterait pas au nombre quasi inexistant de citoyens appartenant à des groupes antifas, mais qui viserait la gauche américaine dans son ensemble », a écrit Christopher Mathias dans une tribune publiée par le média MSNBC.

Ce journaliste, qui couvre l’extrême droite radicale, souligne aussi que les meurtres ou assassinats liés à un mouvement antifa sont presque inexistants ces dernières années. En 2020, un homme se réclamant de cette mouvance a tué un militant d’extrême droite dans l’Oregon, avant d’être abattu par la police. Toutefois, hormis cet événement, une étude publiée en 2020 par le Center for Strategic and International Studies indiquait que, ces vingt-cinq dernières années, aucun meurtre n’avait été commis par un militant antifa, alors que des centaines de meurtres étaient liées à la droite extrême.

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Une étude récente de l’Institut Caton, think tank libertarien, recensait 391 meurtres dans le cadre du « terrorisme à motivation politique » lié à la droite, contre 65 liés à la gauche, entre 1975 et le 10 septembre 2025. Le mois dernier, le département de la Justice des États-Unis a opportunément retiré de son site web un rapport révélant que l’extrême droite était responsable de plus de violences et de meurtres que l’extrême gauche. En se concentrant sur la gauche radicale, le gouvernement laisse le champ libre à l’extrême droite radicale, pourtant considérée ces dernières années par plusieurs études comme la plus grande menace interne dans le pays.

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