« Dracula », sus aux suceurs de sang
Après Kontinental’ 25, l’extravagant nouveau long métrage de Radu Jude montre un aspect très différent de son univers.
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© Météore Films
Dracula / Radu Jude/ 2 h 49.
De Kontinental’ 25 à Dracula, il y a un monde, et ce monde s’appelle Radu Jude. Fin septembre, à l’occasion de la sortie de Kontinental’ 25 et de la rétrospective organisée par le Centre Pompidou, nous évoquions ici même la liberté du cinéaste roumain et sa propension à ne pas se répéter. C’était peu dire à voir l’extravagance de Dracula, aux antipodes du film précédent se caractérisant par une mise en scène minimaliste – même si les deux ont été tournés avec un iPhone.
Dracula éclate de couleurs et de sons, de cris d’effroi et de fureurs grotesques, mêle hémoglobine jaillissante et ténèbres licencieuses et multiplie les effets spéciaux. Pour cause : avec Dracula, non seulement Radu Jude rend un hommage très personnel au vampire dont la légende est née en Transylvanie, mais il signe aussi un film sur et avec l’intelligence artificielle. Dont on sait d’emblée à qui elle est utile : aux cinéastes et aux scénaristes qui n’ont pas d’idées.
Tel est en effet l’aveu sans honte que nous fait le jeune réalisateur à qui la commande a été faite de reprendre le thème du célèbre suceur de sang et qui se déclare complètement sec. Sa solution : l’IA. À laquelle il enjoint de « créer » des histoires tour à tour pleines de sexe, de suspense, d’amour, d’action, etc.
Vitalité bouffonne
Au fil des épisodes qui se succèdent, une vieille femme dans une maison de repos regardant un film voit Dracula sortir de l’écran qui lui demande une fellation ; un Dracula fantoche dissimulant un mystérieux humain fait régner la terreur et s’intéresse de près à la fille du châtelain ; un Dracula propriétaire d’un atelier de conception de jeux vidéo casse une grève déclenchée par une syndicaliste en trucidant les fauteurs de troubles… Tandis que le jeune réalisateur développe tout de même un récit où un Dracula cacochyme et une jolie femme de caractère sont poursuivis par des touristes belliqueux.
La farce est de mauvais goût et d’une drôlerie sans nom, potache, irrespectueuse. Elle peut aussi distiller une forme de tragique, comme le suggère l’ultime épisode à l’atmosphère radicalement différente. C’est la marque de Radu Jude, dont le cinéma croise ceux de Buñuel et de Mocky avec une inventivité qui n’appartient qu’à lui. La vitalité bouffonne avec laquelle il traite les images produites par l’IA, qui ne fait que recycler la chair du cinéma existant, est une façon de renverser le pouvoir de cette technologie vampirisante. D’où cette conclusion fort sérieuse : ce Dracula carnavalesque est une victoire sur tous les suceurs de sang.
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