« Nouvelle Vague » : le cinéma réinventé
Richard Linklater reconstitue avec une vitalité surprenante le tournage hors norme d’À bout de souffle.
dans l’hebdo N° 1883 Acheter ce numéro

© Jean-Louis Fernandez
Nouvelle Vague / Richard Linklaker / 1 h 45.
Reconstituer le tournage d’À bout de souffle ? Pour qui connaît les protagonistes, il faut quelques minutes pour s’acclimater à voir Godard, Truffaut, Belmondo, Jean Seberg et les autres sous les traits de comédiens. Mais la convention est vite acceptée, car Linklater a eu la bonne idée de ne recruter que des acteurs inconnus (tous excellents), ayant une certaine ressemblance sans pousser le mimétisme jusqu’à la caricature, ce qui permet plus facilement l’identification à leur modèle. Pour aider le spectateur dénué de points de repère, chaque nouveau personnage est présenté avec son nom.
Les débuts de Godard et le tournage d’À bout de souffle sont très documentés. Richard Linklater a puisé dans les livres pour élaborer son scénario et nourrir les dialogues. Il lui revenait avant tout de déterminer quel type de regard il voulait poser sur lui. Il montre d’abord un Godard (Guillaume Marbeck) anxieux. Celui-ci assiste à Cannes au sacre de Truffaut avec Les 400 coups, tandis que ses autres amis critiques, Chabrol, Rivette, Rohmer, ont déjà fait leurs premiers longs métrages. Pas lui. Le film saisit bien la peur qui hante tout débutant, y compris Godard, quand il s’agit de se lancer et donc de s’exposer.
Cependant, dès qu’il a le feu vert de Georges Beauregard (Bruno Dreyfürst), l’un des grands producteurs de la Nouvelle Vague, il est porté par de solides convictions, surtout sur ce qu’il ne doit pas faire. En particulier : refuser les conventions. Et ce, dès la constitution de son équipe – Pierre Rissient (Benjamin Cléry) comme assistant réalisateur, novice en la matière, ou Raoul Coutard (Matthieu Penchinat) pour chef opérateur, dont l’activité première était d’être caméraman de guerre – et le choix de ses comédiens : Jean-Paul Belmondo (Aubry Dullin) et Jean Seberg (Zoey Deutch), débarquant d’Hollywood.
Tout un chacun a accepté de participer à un tournage hors norme, « sauvage ».
La liberté est le maître mot de Godard. Liberté des mouvements de caméra, par rapport à l’argent, au temps de travail, au jeu des acteurs… Tous ses efforts vont dans ce sens : ne pas se préoccuper de ce qu’on a fait avant lui, suivre son idée, faire la chasse aux clichés, décorseter le cinéma, y faire entrer le souffle de l’inédit. Ce qui, sur le tournage, ne va pas sans incompréhension, en particulier avec la plus étrangère à ces pratiques incongrues : Jean Seberg, qui ne garde pas sa langue dans sa poche.
Elle offre malgré tout à Godard une composition formidable. Le cinéaste est imprévisible, parfois désagréable, toujours désappointant. Mais il règne aussi sur le plateau une ambiance de camaraderie. Tout un chacun a accepté de participer à un tournage hors norme, « sauvage », comme le qualifie Coutard, où l’on ne s’ennuie guère, tout en doutant du résultat : le film sera-t-il même montrable ?
Tendresse
S’il y a une part d’hommage dans le geste de Linklater, son film ne reprend en rien la manière godardienne – c’est heureux – même s’il est en noir et blanc. Quand on rit de Godard, ce n’est pas à la manière désagréable et anti-intellectuelle du Redoutable, de Michel Hazanavicius. Richard Linklater éprouve de la tendresse envers celui dont les films l’ont convaincu que faire du cinéma était possible. Il sait en outre, lui qui alterne films à grosse production (Rock Academy) et œuvres personnelles (Slacker, Boyhood), que la recherche de sa propre voix dans le concert de la doxa a par nature quelque chose de décalé, donc de burlesque. Et aussi de tragique, quand le sentiment de solitude est au rendez-vous.
Le film n’a rien d’un acte de dévotion au culte de l’auteur. C’est un corps qui respire.
Objectif atteint, donc, pour Nouvelle Vague : le film n’a rien d’un acte de dévotion au culte de l’auteur. C’est un corps qui respire, donnant à apercevoir les arcanes d’une révolution esthétique en cours et à toucher du doigt la part d’inconnu et d’opacité qu’elle implique. Outre procurer du plaisir au cinéphile, Richard Linklater a aussi voulu faire de son film un geste de transmission. Les cartons de la fin y contribuent, donnant des informations sur le devenir d’À bout de souffle et de ses protagonistes. Nouvelle Vague s’offre ainsi à tous les publics, aux débats contemporains comme aux rêveries mélancoliques.
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